Pas question ici de taper sur l’équipe de France pour son 14-0 contre Gibraltar. Elle n’y est vraiment pour rien si les instances du football organisent des matchs aussi ridicules. Et si les commentateurs osent en tirer des conclusions des plus hasardeuses. Tout aussi ridicules que le score.
Sous le choc ! Oh, ce ne sont pas les 14 buts des Bleus face à Gibraltar qui m’ont déstabilisé. Après tout, l’écart gigantesque de valeur entre les deux équipes valait déjà bien la moitié de ce score. Si on y ajoute un carton rouge et un appétit remarquable de la part des joueurs bleus, on pouvait pousser jusqu’à 12, voire donc 14… Rien de choquant à cela, même s’il s’agit donc d’un record européen des temps modernes… Non, je suis tombé sous le choc en écoutant les « analyses » de beaucoup de mes confrères et autres personnes de ce temps. Le vrai choc était de s’entendre dire que ce résultat était «historique» ! Avec une logique simpliste. Puisque c’est un record, c’est donc historique ! Certes, ce score n’est pas donné à tout le monde. Et, encore une fois, on doit rendre hommage aux Bleus d’avoir mis tant de conviction dans ce simulacre de match. Cela montre un état d’esprit remarquable (bravo le staff !) et une envie de prouver sans doute révélatrice de l’exigence de l’Equipe de France de ces années. Bref, plein de vertus indiscutables et qui méritaient d’être développées et commentées en cette soirée niçoise. Au lieu de quoi, il ne s’agissait que de chiffres, de records, de classement des buteurs et autres sornettes hors de propos. Qu’on me comprenne ! S’il y a un soir où le record de Giroud et le futur record de Mbappé n’a aucun intérêt, c’est bien celui-là. Il est même extraordinairement péjoratif de ramener les 46 buts du buteur parisien un soir de carton contre Gibraltar ! On ne saurait mieux dire que ce genre de record n’a plus aucun intérêt par les temps présents.
Ainsi, lorsque le rugby avait la décence de déplorer des scores abracadabrantesques de la première phase de sa Coupe du Monde, le football se moquait de ces sports où peu d’équipes sont compétitives. Et c’était donc pour ensuite en arriver à trouver un 14-0 extraordinaire ? Par quelle alchimie du cerveau ? Alors, comment en est-on arrivé là ? Comment les esprits ont-ils pu dériver autant sur la nature du sport. J’écoutais Christophe Dugarry rappeler que le soir du FranceAzerbaïdjan de 1995, le précédent record à 10- 0, personne dans l’équipe ne savait que c’était un record. Ben non, évidemment ! Seul un «perché» des stats peut s’intéresser aux records de cette espèce-là. Seul un talent d’archiviste, et sûrement pas de journaliste, peut s’intéresser à cela. Et pourtant, à la mitemps, les joueurs ont demandé à Didier Deschamps quel était le record ? Les mentalités ont bien (ou mal…) changé. Objectivement, on peut comprendre que les joueurs aient eu envie de savoir. Et rien de choquant à ce qu’ils aient cherché «à s’amuser» un peu plus en allant chercher ce record. Mais cela reflète leur temps. Le temps des records hebdomadaires… Toutes les semaines, il faut son ratio de records, le plus souvent farfelus ou sans signification. Coman aurait ainsi un record quelconque de sélections sans finir un match. Je suis bien incapable de vous expliquer lequel tant cela ne représente absolument rien. Cela raconte juste une époque à cinq changements, et où les attaquants sont toujours les premiers à sortir. So what ? Si je puis me permettre d’avoir un peu d’aigreur par rapport à la matière statistiques en football, c’est que je m’enorgueillis quelque peu de l’avoir mise sur le devant à travers mon travail à Canal+. Mais il s’agissait alors d’éduquer, d’expliquer le jeu en ajoutant la statistique en guise de pédagogie. Mais surtout pas pour noyer les gens de chiffres sans aucun intérêt ou sans aucune contextualisation.
Y a-t-il un mot plus galvaudé que « l’histoire » dans toutes les affirmations statistiques de notre temps ? Ainsi, le carton contre Gibraltar. Record de quoi ? Par exemple, la défaite record de l’Equipe de France date de sa première époque contre le Danemark (17-1) en demi-finale des J.O de Londres en 1908. Faut-il éviter ces temps anciens où les équipes n’étaient pas préparées et où les buts s’enfilaient ? Mais alors, il faut parler du contexte des temps modernes. Celui où l’Europe compte 55 pays au lieu de 32 dans les années 80. D’où des nations affaiblies (adieu Yougoslavie, URSS…) et, surtout, une multitude d’équipes faibles en prime (Lettonie, Azerbaïdjan, Kosovo…). Et même y ajouter, pour des raisons électorales évidentes (Gibraltar vaut une voix, comme la France), de petites nations-villes comme San Marin, Liechtenstein, Andorre ou les Iles Feroe. Et donc Gibraltar, une petite colonie britannique de 32.000 habitants au sud de l’Espagne, qui peut jouer comme une nation pleine et entière des phases de qualifications à l’Euro ou à la Coupe du Monde. Ridicule ! Bien sûr, l’universalité de ce sport nous enjoint de croire à la magie d’amener l’Equipe de France, l’Allemagne ou l’Angleterre sur les Iles Feroe ou au Liechtenstein ! Mais un soir comme Nice doit nous faire repenser le mode de qualifications plutôt que se réjouir sans retenue d’un carton qui est un non-spectacle par excellence. Merci malgré tout aux Bleus d’avoir joué le jeu jusqu’au bout rendant le spectacle moins pénible qu’un 6-0 plein d’ennui ! Mais, malgré tout, il est évident qu’un tel match n’a aucun sens. Vous me direz que la Coupe de France offre ce même genre d’affiche ? Exact. Mais à une différence fondamentale près ! C’est que le petit a mérité d’être là. Il a passé 3, 4 ou 5 tours homériques pour mériter de jouer le PSG. A contrario, Gibraltar est là parce qu’il a gagné le droit de jouer… lors d’un congrès de l’UEFA. Vous aimez les chiffres, vous en voulez encore ? Et bien, en voilà ! Gibraltar vient d’aligner 44 matchs de qualification (Euro et Coupe du Monde) sans marquer un seul point. Avec une différence de buts de – 190 sur les cinq qualifications disputées. Voilà une vraie stat qui a sans doute été un peu occultée depuis samedi dernier !
Pourtant, l’UEFA a fait un travail intéressant en créant la Ligue des Nations. Cette épreuve a le grand mérite de classer les équipes par niveau, à travers des divisions. Et je pensais naïvement qu’elle ferait évoluer le mode de qualification pour l’Euro et la Coupe du Monde. Au moins, les gros auraient du travail pour se qualifier. Et on peut faire confiance à l’UEFA pour organiser des barrages et autres trouvailles pour éviter d’en perdre un en route… A l’inverse, les petits comme Gibraltar devraient alors gagner des matchs dans leur division pour mériter le droit de jouer des plus gros ensuite. Mais sans gagner un match, comment justifier des affrontements aussi ridicules qu’un France-Gibraltar ? Une contre-publicité absolue pour le football. S’agit-il juste de multiplier les équipes dans chaque groupe pour assurer un nombre certain de rencontres et justifier ainsi des droits TV ? Alors, mesurez juste que les joueurs accumulent désormais bien 70 matchs par an et qu’ils tombent comme des mouches. Pedri a joué Euro et J.O en 2021. Il vogue désormais de blessure en blessure. Et Camavinga, Gavi et Zaïre-Emery, autres jeunes, viennent de se blesser durant cette trêve internationale. Il est stupide de reprocher aux sélectionneurs (qui jouent leur poste tous les deux matches…) de faire trop jouer ces joueurs. On les oblige à jouer toujours plus de matchs, ce qui les pousse à en gagner toujours plus et à aligner jusqu’à l’épuisement les meilleurs joueurs. Ceux qui jouent sans relâche également championnats, Ligue des Champions et autres…
A part ça, Kylian Mbappé a touché les 300 buts en carrière lors de ce match de Nice. Et, pour le coup, cette statistique méritait d’être mise en avant, tant elle représente un point de passage dans sa carrière. Mais, a contrario, le débat sur les buteurs de l’équipe de France, non, surtout pas ce soir-là. Les conjectures sur le « duel » Giroud-Mbappé étaient pour le moins grotesques un tel soir. Et même en général. Le Parisien n’ayant pas encore 25 ans, il est évident qu’il battra le « record » de Giroud. Le seul suspense est de savoir s’il le battra de 30, 40 ou 50 buts ! Plus ridicule encore est la lecture de ce classement « pour l’histoire ». A-t-il échappé à tous les grands analystes que les 4 premiers buteurs « de l’histoire » des Bleus sont des joueurs du XXIème siècle ? Et s’ils ont tous dépassé aisément le grand Michel Platini, c’est donc qu’il s’est passé quelque chose, non ? Le meilleur buteur de l’histoire de l’Equipe de France est donc un joueur qui est devenu bleu à 25 ans. Et Mbappé qui n’a pas encore cet âge, a déjà plus de sélections que Platini !
Quand Mbappé marque 8 buts en phase finale de Coupe du Monde, il mérite les louanges extrêmes. Mais faut-il donc supporter ces mêmes louanges quand il se rapproche de Giroud à la faveur d’un match contre Gibraltar? « Historique », vraiment, un soir où l’équipe de France bat une sombre équipe de niveau National/National 2 par 14 à 0 ? Alors que les performances et chiffres de Kylian Mbappé sont effectivement hors normes, mérite-t-il que tout cela soit gâché en l’évoquant à mauvais escient… En fait, le Bondynois a bien raison de foncer. Car quand la Coupe du Monde passera à 96, il y a quelque chance que les records des buteurs tomberont encore plus dans les temps futurs. Le nombre de matchs enfle, les qualifications sont de plus en plus aisées, et les phases finales plus longues. Tout est réuni pour battre les records. Soit ! Mais un peu de pudeur un soir comme Nice aurait évité à beaucoup de commentateurs de sombrer dans le ridicule. Je sais bien que le monde du football s’ennuie de plus en plus jusqu’au mois de mars où tout commence enfin. Mais garder la tête (et l’analyse) froide aurait évité le ridicule que l’équipe de France ne méritait pas ! Pour la prochaine fois, merci d’avance !