Interview de Jean-François Caujolle (Open 13)

Weekend Sports était à Marseille pour l’Open 13, tournoi incontournable de la scène hexagonale. L’occasion de rencontrer Jean François Caujolle, emblématique directeur du tournoi depuis 1993. L’ex-joueur professionnel a répondu à toutes nos questions.

Jean François, comment créé-t-on un tournoi comme l’Open 13 ?

C’était quelque chose d’assez naturel et légitime pour moi parce qu’en tant qu’ancien joueur professionnel vivant à Marseille ça me paraissait logique. Je voulais amener dans ma région du tennis de haut niveau et pour les joueurs leur montrer la Méditerranée et le lieu où je vivais.

Quel a été ton meilleur classement durant ta carrière que tu as évoqué ?

J’ai été numéro 4 Français. Et mon meilleur classement est autour de la 50e place mondiale. Je fais partie d’une génération où les titres nationaux étaient plus importants que certains titres internationaux parce que justement nous n’étions pas dans les 20 meilleurs mondiaux. J’ai gagné le National en 78 puis après il a eu la génération Noah. Et c’est juste après ma génération que l’essor du tennis français à l’international a commencé.

Toi qui a été joueur et maintenant organisateur, comment vois-tu l’évolution du tennis mondial ?

Il y a pour moi deux évolutions. Déjà à mon époque la première évolution a été la structuration des tournois. Mais le grand changement date de la fin des années 80. Sur l’intensité, la préparation. Les joueurs aujourd’hui sont de véritables entreprises avec des coachs, des physios, des nutritionnistes, des préparateurs mentaux et des agents. Ce sont devenus des TPE, de vraies petites structures alors qu’à mon époque on était des artisans. La professionnalisation se ressent dans la densité et la qualité du jeu. 

Mais c’est pareil pour l’organisation des tournois. A mon époque on pouvait dormir dans des garages ou chez l’habitant. On pouvait jouer 3 matchs de qualification dans la même journée sur une surface différente. Aujourd’hui les structures ATP sont beaucoup plus professionnelles dans le confort et l’équité pour les joueurs. A mon époque tous les joueurs n’étaient pas logés à la même enseigne. Maintenant tout est préparé dès les qualifications, la structure est idéale.

Comment un tournoi ATP 250 comme celui de Marseille a-t’il réussi à faire venir le gratin du tennis mondial ?

Déjà la première chose c’est le calendrier. Il y a une saison en Europe qui se joue en indoor avec le tournoi de Rotterdam ou de Copenhague par exemple. Le circuit indoor s’est réduit avec les deux gros tournois que sont Rotterdam et maintenant Marseille. Puis il y a beaucoup plus de joueurs européens dans le top 100 par rapport au passé où il y avait beaucoup d’Américains et d’Australiens. Au fil des ans la relation avec les agents et les joueurs s’est renforcée, c’est comme ça qu’on arrive à avoir un tableau de qualité.

Il faut aussi prendre en compte le fait que nous donnons la chance aux jeunes dans ce tournoi. Tsitsipas a eu ses premières invitations ici, mais on pourrait citer Gasquet , Federer ou Nadal. Donc oui c’est un peu une de nos marques de fabrique. Et j’ai l’envie de croire que ces jeunes joueurs à qui je donne une chance me le rendront plus tard, et c’est très souvent le cas. Quand le président de l’ATP a mis en place le projet next gen, je lui ai tout de suite parler de mon envie de trouver des solutions pour les jeunes joueurs. Je souhaitais que l’on impose dans chaque tableau un jeune, qui serait là avec une Wild Card. Ça permet aux jeunes joueurs d’avoir une chance et de faire découvrir des talents.  Federer a eu sa première grande victoire ici à Marseille, ça lui à ouvert des perspectives de carrière. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent qu’il ne faut pas plonger tout de suite les jeunes dans le grand bain.

Est-ce que le fait que ce tournoi de Marseille soit dans la continuité du retour des joueurs d’Australie, explique son succès ?

Je ne sais… J’avoue que ce qui se passe dans la tête des joueurs en termes de programmation c’est un peu compliqué à comprendre. Il y a des paramètres à prendre en compte. Quand tu prends l’exemple d’un joueur à l’époque comme Kafelnikov qui remporte le tournoi en Australie le dimanche et qui vient jouer le mardi ici. Le joueur quand il est déterminé par rapport à un calendrier, une programmation, il va suivre le programme à la lettre.

Pour l’Open 13 nous avons eu à subir pendant de nombreuses années une programmation qui était compliquée, car on se retrouvait juste après l’Open d’Australie et avant la Coupe Davis. Malgré tout, les joueurs venaient jouer ici en indoor. La preuve que la priorité c’est bien la préparation et pas forcément le cachet.

Le coach, l’agent et le joueur définissent d’abord la priorité sportive et ensuite vient la question de l’argent. À partir du moment où le joueur a trouvé un intérêt à venir jouer ici, financièrement, il y a toujours un accord possible.

Il y a les prizes money définis par l’ATP et en fonction du classement, de la renommée du joueur, il y a des garanties financières pour certains joueurs. L’open 13 c’est un budget d’environ 6 millions d’euros. C’est la fourchette haute pour un ATP 250.

Quelles sont pour toi les prochaines évolutions du tennis  ?

Il y a déjà une évolution depuis 2 ou 3 ans avec un niveau de jeu incroyable. C’est un niveau vraiment très élevé. L’évolution naturelle c’est un resserrement des niveaux de chacun, ça va devenir de plus en plus compact. Tout est tellement professionnel aujourd’hui , tout est si bien organisé, qu’au point de vue physique ou technique tout le monde a sa chance. Il y a des joueurs avec un talent incroyable qui se retrouvent à des places qui ne sont pas les leurs et à l’inverse certains paraissent plus laborieux mais vont se retrouver très bien classé.

Est-ce que l’air des trois monstres qui ont tout dominé pendant 15 ans est terminé, je ne sais pas mais pour moi il faut bien comprendre qu’il y a deux tennis. Le tennis des tournois et celui des Grand Chelem. Ce n’est pas la même chose de gagner un match au meilleur des trois sets comme meilleur des cinq sets. Il y a des joueurs très fort en 5 sets et qui le sont beaucoup moins sur des formats en 3. La surface que nous avons à Marseille est très aléatoire, un joueur comme Nadal aurait beaucoup de mal à gagner ici. Parce qu’il n’y a pas tout l’environnement extérieur, que le rebond n’est pas le même etc….

Et puisque l’on parle d’évolution il faut bien reconnaître que le jeu s’est aseptisé. Aujourd’hui on uniformise l’ensemble des surfaces avec les mêmes balles, les mêmes hauteurs de rebond. On se retrouve avec un jeu identique sur toutes les surfaces. J’aimerais qu’on revienne avec les spécificités de chaque surface.

Les gens qui sont à la direction de l’ATP sont très à l’écoute de ça, la tradition, l’histoire, le jeu. L’évolution du jeu va dépendre des instances.

Il y a des évolutions à trouver c’est certain, sans changer les règles ni le format. On doit faire évoluer l’attractivité du jeu par rapport à des petites adaptations, mais il ne faut pas toucher le fond.  Il y a une chose que je trouverai très intéressante, c’est de raccourcir la phase d’avantage / point décisif. Ça ralenti l’émotion, le public aime les tie break parce qu’il y a une dramaturgie qui se joue à ce moment-là. Mais par exemple faire des formats courts, et ce n’est que mon avis, je ne suis pas pour.

Comment vois-tu le niveau actuel et le futur du tennis français ?

Alors, concernant le tennis français, Il a connu des heures fantastiques même si le grand public râle toujours qu’on ne gagne pas de Grand Chelem. Certains auraient pu gagner des grands Chelem mais avec la génération Nadal Federer Djokovic c’est compliqué. Mais il ne faut pas oublier qu’on a la chance d’avoir eu 4 joueurs classés entre la 5e et la 15e place mondiale.

Mais c’est vrai que depuis 5 ans le tennis français connaît un vrai creux. il y avait certainement un creux dans les talents et dans la formation. Aujourd’hui il y a quelques espoirs dont un Arthur Fils qui a le jeu, le physique, le charisme et le mental. A 18 ans il a tout pour réussir. Il est l’un des tout meilleurs mondiaux dans sa catégorie d’âge et j’espère que ça permettra de tirer les autres vers le haut. Et pour l’organisateur de tournoi que je suis, c’est important d’avoir des Français qui sont capables de battre les meilleurs mondiaux.

Pour conclure si tu devais retenir trois souvenirs de ces 31 éditions de l’Open 13 ?

Boris Becker qui rentre sur le court. Il dégageait quelque chose de spécial, un charisme, une puissance. Le voir scruter le public. Et s’imposer contre Vacek. Il retourne le service de Vacek pour la balle de match, il croit avoir gagné, il lève les bras, érupte. mais l’arbitre annonce le service faute. Vacek sert de nouveau et retour gagnant de Becker.

Après je pourrais te citer des moments forts avec Tsonga, Kyrios ou Del Potro.

Kyrios gagne en battant plusieurs top 10. Personnage spécial mais très intéressant.

Je reviens souvent sur le fait qu’il n’y a pas que le sportif qui m’intéresse dans ce tournoi. J’ai le souvenir de ce chauffeur qui m’a remercié parce que grâce au tournoi, il pouvait payer les vacances avec sa fille. J’aime cette notion de plaisir qu’on peut donner aux gens au milieu de sportifs exceptionnels. C’est avant tout une aventure humaine.     

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