Retro saison : L’ARABIE SAOUDITE VA-T-ELLE TUER LE FOOT EUROPÉEN ?

Et si la saison 2022/23 avait marqué un grand tournant dans l’histoire du football de clubs en Europe ? Il y a quelques jours, Al-Hilal, club de Riyad en Arabie Saoudite, a proposé 300 Millions au PSG pour le transfert de Kylian Mbappé. Assorti d’une rémunération de 700 Millions pour le joueur sur l’année 2023/24. Déjà, AlHilal, Al Nassr, Al Ittihad ou Al Shabab ont vu arriver cet été une multitude de stars. Ronaldo a ainsi été rejoint par Benzema, Mané, Koulibaly, Kante ou Firmino. Pour une destination qu’on croyait limitée aux anciens en pré-retraite, la menace commence à être très sérieuse pour l’Europe.

De prime abord, pas grand monde ne s’est inquiété. Ronaldo, au crépuscule de sa carrière, filait en Arabie Saoudite cet hiver et certaines chaînes commençaient mollement à se renseigner sur les droits TV du championnat saoudien. Mais même la venue attendue de Messi ne bousculait finalement que les imaginaires et les chiffres. Certes, le Milliard de dollars promis au champion du monde argentin faisait cligner des yeux. Mais finalement, celui qui ne jouait que pour l’argent (dixit les grands experts du football parisien !) décidait de partir aux Etats-Unis pour vingt fois moins… En plus, ces manœuvres concernant des joueurs en fin de carrière n’inquiétaient guère l’Europe qui se dressait fièrement pour rappeler qu’il n’y a que quatre (ou cinq si la France en parle) championnats qui comptent sur la planète. Et ils sont tous en Europe tempérée. Et puis le transfert de Benzema (ballon d’or en titre !) en Arabie Saoudite a déclenché un mouvement. Des clubs européens ont commencé à aller faire la danse du ventre en Arabie pour se débarrasser de joueurs devenus trop chers. Chelsea a ouvert grand les portes pour alléger son effectif XXL, et privé de Ligue des Champions cette année.

Evidemment, il faut expliquer la puissance de feu saoudienne. Ce ne sont pas les clubs qui peuvent acheter de tels joueurs à de tels tarifs. C’est bien l’Etat (à travers des fonds souverains) qui investit. Pour ensuite répartir les joueurs entre les clubs de Riyad et Djeddah. Mais, malgré un mouvement devenu massif, la vieille Europe ne bouge pas. L’Arabie Saoudite peut bien engager qui elle veut aux tarifs les plus extravagants, l’Europe, sûre de sa force, ne bronche même pas. « Oui, peut-être, mais ces joueurs partent pour l’argent (sic !) et ne joueront pas la Ligue des Champions…». Sousentendu, soit ils n’ont plus d’ambition, soit ils reviendront pour regoûter à la compétition.

L’Europe est ainsi faite. Elle se croit toujours supérieure et n’envisage jamais d’évolutions fondamentales. C’est à se demander si les Européens se sont aperçus que la Formule 1 les avait désertés pour aller dans le nouveau monde organiser un maximum de Grand Prix bien plus lucratifs qu’en Europe. Ils ont aussi vu des étrangers (hors Europe) acheter 15 clubs de Premier League ou 10 de Ligue 1 sans s’inquiéter davantage.

Bien sûr, ça ne fait pas forcément plaisir de perdre son identité. Mais si cela permet de voir de grands joueurs qu’on aurait sinon du mal à recruter, le public adhère. Et puis, après tout, cela montre bien que le foot, c’est ici en Europe et nulle part ailleurs. Et que les étrangers peuvent toujours venir avec leur argent. Ils seront obligés d’acheter nos clubs européens s’ils veulent exister dans le football. C’est vrai, mais jusqu’à un certain moment.

Et, avec l’offensive saoudienne, la question est justement de savoir si ce moment ne serait pas arrivé. Bien entendu, l’Européen ne se pose pas cette question. Il s’appuie sur ce qu’il connaît par cœur, ses acquis. Et sur un passé où Chinois, Américains ou autres, ont déliré un temps avant de déchanter. Il voit donc arriver les plus riches investisseurs en Europe et pense que rien ne peut changer. L’Etat qatarien, saoudien, chinois ou autres auront toujours besoin de venir en Europe, là où il y a les plus grands clubs, et surtout les plus grandes compétitions du monde. Il le croit profondément. Et c’est là sa faiblesse. Il ne saisit pas les profondes mutations de notre temps. Pourtant, tout est sur le tapis. Cela fait plusieurs années que la FIFA de Gianni Infantino veut piquer le business des clubs à l’UEFA. La création d’une Coupe du Monde à 32 clubs en 2025 (avec 8 européens…) est une première étape permettant aux clubs d’autres pays d’accéder à de vrais rendez-vous contre les grands clubs européens. Mais l’épreuve est nouvelle, 2025 est loin, et elle se dispute tous les quatre ans. Donc l’Européen n’y croit pas. Le foot est un milieu conservateur, au point de ne pas voir les évolutions en profondeur.

Déjà, l’Européen n’a pas vu ou compris la Ligue des Nations. Ni les réformes des compétitions européennes qu’il mélange avec la Super-Ligue. Il ne voit rien venir. Quand même, quand Kante ou Ruben Neves (26 ans) partent en Arabie Saoudite, au moins lever un sourcil, non ? Toujours pas. Les grands clubs seront toujours en Europe. Et la Ligue des Champions, c’est le must des clubs. Oui, mais il y a quelques Européens qui, heureusement, sont un peu plus vigilants que ça.

L’UEFA a déjà laissé filtrer qu’elle pourrait inviter des clubs saoudiens à jouer la Ligue des Champions. Lever de bouclier immédiat des tenants du football européen. Quant on ne joue pas en Europe, pas question de disputer l’épreuve reine. Ces gentils « bisounours » sontils donc incapables à ce point de se rendre compte qu’une Ligue Mondiale des Clubs pourraient naître en quelques années ? Et détruire en peu de temps nos championnats nationaux, rendus bien fragiles par le nombre de matches de ces compétitions continentales. Il faut être bien naïf pour imaginer que le mouvement anti-Super-Ligue puisse se reproduire plusieurs fois. Déjà, l’Européen voit chaque jour se développer le « supportérisme » de joueur en Europe. Des gens passer du Real à la Juventus, tout en habitant Metz, sous le prétexte que Ronaldo déménage. Et quand il part à Al Nassr ? Idem, bien sûr. Et un Real-Al Nassr à Acapulco ou Singapour passionnerait une certaine planète du foot et, surtout, générerait un business mondial !

Bien entendu, les clubs saoudiens ne vont jamais générer assez de recettes pour s’offrir de tels stars. Aucun club du « reste du monde » n’a les moyens de générer des ressources comparables aux grandes nations économiques. Mais comment être à ce point incapable d’imaginer qu’un Emir se dise un jour qu’il lui serait plus agréable de voir son équipe (locale) affronter le Real Madrid ou le Bayern à Doha, Riyad ou Bahreïn plutôt que de mettre tout son argent au Paris SG, à Manchester City ou Newcastle ? La seule contrainte est de faire évoluer le modèle du foot mondial. Or, celui-ci est en pleine explosion sous la pression de clubs de plus en plus gourmands et qui veulent un modèle économique hors norme qui n’est plus compatible avec des matches contre Angers, Sassuolo, Sheffield United ou Getafe. Il n’est pas compliqué de se dire qu’avec des soutiens financiers tels que les Etats du Golfe, les ressources de la Ligue des Champions (2,5 Millions d’Euros aujourd’hui) pourraient être multipliées par 4 ou 10 dans une configuration mondiale. D’autant qu’Américains, Chinois ou milliardaires africains ou fidjiens (pourquoi pas?) pourraient alors rentrer dans la danse et « fabriquer » leurs clubs. Certes, ceux-ci n’auront pas immédiatement la renommée et la légitimité. Mais s’ils ont les meilleurs joueurs du monde…et le Real pour adversaire, ce sera évidemment gagné.

Et, vu le niveau de rentrées d’argent pour les clubs, peu importera alors que l’organisateur soit la FIFA, l’UEFA ou des privés (appelez-les Super-Ligue si vous voulez…). Ce scénario est le danger ultime du football que nous connaissons aujourd’hui, bien au-delà d’une Super-Ligue à l’intérieur de l’Europe qui peut rebuter, notamment les Anglais. Ceux-ci sont d’ailleurs, probablement, notre meilleur espoir de sauver notre modèle avec championnats nationaux. Car ils génèrent aujourd’hui plus d’argent que la Champions League et que l’attachement reste très fort en Angleterre. Mais la puissance des clubs anglais pourrait leur permettre sans doute d’avoir deux ou trois équipes, l’une pour la Premier League et l’autre pour le monde…

Par contre, ne rêvez pas un instant de décourager ces investisseurs par un fair-play financier ou des critères d’équité des compétitions. Il sera toujours inutile d’en parler aux Saoudiens, comme aux autres. Allez leur dire qu’un Etat (ou des fonds souverains, en l’occurrence, ce qui revient au même) ne doit pas acheter des vedettes pour des clubs. Que cela n’est pas éthique et socialement correct. Toutes ces notions auront totalement disparu. Car le football de PME à l’européennes aura vécu. Je choque sans doute en écrivant cela. Devant des gens socialement surpris par les chiffres circulant dans le football déjà aujourd’hui. Bien sûr, dans des pays où l’opinion publique est prise en compte, une grande société nationale ne peut financer un transfert délirant. De même pour un Etat auquel on va demander des comptes… Et des salaires à 7 chiffres peuvent toujours surprendre et choquer.

Mais peut-être que les chiffres ahurissants venus d’Arabie Saoudite vous convaincront désormais que nous sommes passés dans un autre monde. Et si mettre 200 Millions sur un joueur peut paraître totalement déraisonnable, cela ne représente rien pour un milliardaire, une très grande société ou, pire, un Etat ! Cela devient des sommes parfaitement quantifiables et comparables à une campagne de pub (tourisme) ou pour attirer des investisseurs (road tour). Tous les farouches adversaires du fairplay financier (en général, par « supportérisme » aveugle) n’avaient sans doute pas pensé que son utilité était surtout celle-là. Eviter des délires totaux et qu’un milliardaire ou un Etat aient l’idée destructrice de rassembler sous le même maillot les 11 meilleurs joueurs du monde. Sûrement un fantasme pour les amateurs de football manager. Un cauchemar pour les amoureux de football… À vivre en direct à Riyad, Djeddah et demain, dans bien d’autres villes du monde…

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