Sans doute à cause d’un trop plein d’éliminations récentes et douloureuses du PSG contre le Real et le Barça, les rapports sont troublés entre football français et espagnol. Outre une méconnaissance surprenante, le regard français sur le foot espagnol est d’une sévérité étonnante.
La palette s’étonne. Notre voisin espagnol n’est pourtant pas bien loin. Et je dirais même que nous avons probablement une proximité sans égal avec le football espagnol. Si nos modèles cités sont souvent anglais et allemands, nous n’avons pas beaucoup de proximité avec eux. Les vertus allemandes (propriété nationale des clubs, gestion financière, stades pleins) nous sont plutôt étrangères. Quant à la Premier League, elle ne peut guère être copiée par personne, tant le grand écart est immense. Nous sommes si loin des ressources anglaises que toute comparaison ne peut que tourner au désastre.
Reste l’Italie que nous avons détestée, mais tant enviée pendant si longtemps. Aujourd’hui, nous croyons pouvoir revendiquer une supériorité sur la Série A. Qui serait en ruines. Evidemment, voir des clubs italiens en finale des trois coupes d’Europe l’an dernier n’a pas arrangé cette thèse. Pas plus que de voir le gouffre avec l’Italie à l’indice UEFA, à l’heure où Néerlandais et Portugais nous mordent les mollets. Mais nous trouvons dans les problèmes financiers des clubs italiens, dans leur carence en stades et en sécurité quelques raisons de nous vanter. De fait, nos championnats diffèrent nettement. A notre détriment lorsqu’on regarde le nombre de grands clubs plein de réminiscence (Milan, Inter, Juve, Lazio, Roma, Fiorentina…). A notre avantage lorsqu’on observe ces stades vieillissants et peu remplis. Et puis, reste le football espagnol. Techniquement, c’était déjà probablement le football qui nous ressemblait le plus, depuis les années 70/80. Même si l’intensité espagnole ne nous réussissait pas forcément dans les compétitions européennes. Et même si Cruijff a fait basculer le foot espagnol dans une dimension qui a quelque peu échappé au foot français devenu chantre de puissance et de rigueur défensive (sans doute par la valeur des défenseurs que nous vendons à l’étranger), il nous reste une certaine sensibilité pour un jeu créatif, pour la passe « Ligue des Champions » et des attaquants félins. Si nous vendons surtout les Disasi, Konate ou Tchouameni, notre goût reste attaché à des Zidane ou Platini, tandis que Ben Arfa ou Payet enflamment les imaginaires. Et, évidemment, l’Espagne conquérante de 2008, 2010 et 2012, ou le Barça parfait des années Guardiola, correspondent plus que tout à ce que nous aimons profondément dans le foot. Pour autant, nous nous en défendons activement. Ainsi, la France se moque de l’échec de l’Espagne de Luis Enrique et de son Tiki Taka en 2022. Et vole au secours du presque succès des Bleus, tout en critiquant le jeu morne façon Deschamps.
Comme si nous ne savions pas vraiment ce que nous voulons. Et, après tout, nous retrouvons ces paradoxes partout dans notre relation à l’Espagne. Comme un symbole de ces deux peuples qui ne veulent pas parler de langues étrangères et se murent chacun dans leurs certitudes respectives. L’Espagne ne supporte pas l’arrogance française ? Alors le PSG en est un symbole idéal. Mais, alors que le Real adore plus que tout les stars, voilà que le public espagnol ne va pas supporter de voir le PSG faire ce qu’un club associatif (et appartenant à ses socios !) comme le Real ou le Barça ne peuvent faire.
Bien sûr, de l’autre côté des Pyrénées, on ne cesse de railler cette Espagne qui triche avec ses comptes et les dettes de ses clubs. Jusqu’à inventer des légendes urbaines inouïes. Le plus spectaculaire malentendu de l’histoire est sans doute le fameux Roi d’Espagne qui aurait remboursé les dettes du royal Real Madrid ! Quelle blague ! Certes, les Espagnols sont infiniment plus passionnés de foot que les Français. Mais de là à imaginer que l’opinion espagnole approuverait que les deniers publics (même royaux) servent à payer des footballeurs….
La légende a deux sources que l’on va rapidement évacuer pour empêcher un certain nombre de bisounours de mourir idiots… Le seul rapport entre Roi d’Espagne et le Real s’appelle le scandale Banesto. L’effondrement de cette banque a conduit à rayer des dettes colossales, dont un tout petit bout appartenait au Real. Je ne suis pas en mesure de vous dire si des clubs français ont bénéficié du scandale Crédit Lyonnais en France… L’autre ressource contestée du Real est son centre d’entraînement, la Ciudad Deportiva, au nord de Madrid. Nul doute que Florentino Perez a obtenu des permis de construire qui ont permis à la fois de valoriser remarquablement ces terrains et au Président de nourrir ses sociétés de construction. Mais le Roi d’Espagne n’accorde pas de permis de construire… jusqu’à nouvel ordre. En attendant, le Real Madrid vient de rebâtir Bernabeu en injectant 600 millions d’euros. Quand nos clubs paient des loyers faibles pour leurs stades publics. Le loyer du Parc est ainsi estimé entre 1 et 2 millions par an.
Dans le même esprit, nous sommes persuadés que les clubs espagnols sont des tricheurs éhontés quand nous sommes littéralement vertueux comme en atteste la DNCG. Sauf que jamais notre organe de contrôle financier n’a instauré de contrôle aussi drastique que la Liga de Javier Tebas. Celle-ci limite les masses salariales en fonction des recettes et le Barça a ainsi tous les ans bien du mal à simplement pouvoir enregistrer ses nouveaux joueurs. Il a même dû se résoudre à laisser partir Messi libre… En France, il suffit que QSI ou Monsieur Mc Court donne une lettre de garantie et le PSG et l’OM peuvent afficher des déficits incongrus sans risque de représailles… Et, lors du dernier mercato, les effets se sont fait sentir. La Liga est toute simplement la moins dépensière d’Europe (parmi les cinq grands championnats). Et toute la France a attendu, crédule, la proposition du Real pour Mbappé. En vain ! Inversement, Ramos ou Joao Felix ont même accepté des rémunérations basses à Séville ou au Barça pour permettre à leurs clubs de passer le contrôle de masse salariale de la Liga.
En fait, la France envie bien plus l’Espagne qu’elle n’ose se l’avouer. Elle qui a longtemps revendiqué un championnat plus équilibré que l’Espagne ne supporte pas de voir Séville ou Villarreal remporter l’Europa League. Surtout, elle envie la permanence de l’incroyable rivalité Real-Barça. Des parallèles peuvent être faits avec PSG-OM (identité régionale contre capitale…) mais les copies n’égalent jamais l’original. Toutefois, la France guette la chute de l’invincible Armada. Bien sûr, l’Espagne est tout là-haut, deuxième à l’indice UEFA. Mais elle s’éloigne de l’Angleterre tous les ans. L’an dernier, un seul des quatre engagés en Ligue des Champions a franchi le premier tour. Mais patatras, voilà que Séville, modeste 13e en Espagne, gagne une septième Europa League… Alors, chaque week-end, la France surveille les difficultés du Barça et du Real à se défaire de clubs modestes. Comme des signes que la chute est proche. Quand Getafe résiste au Real jusqu’à la 95e minute, Osasuna accroche aussi le Barça. Jusqu’à un penalty (logique, mais forcément contesté) de dernière minute pour permettre la victoire catalane. En fait, la France ne serait-elle pas envieuse de ces équipes compétitrices qui ne baissent pas les bras d’entrée comme l’OL contre le PSG ? Honnêtement, il n’est pas facile d’analyser et comprendre toutes ces dérives et fausses querelles. On sait juste que les championnats européens feraient bien mieux de se rapprocher davantage. Car le vrai danger viendra plutôt de l’extérieur. D’Arabie Saoudite, d’UEFA ou FIFA ? En tout cas, quand la grande super-League mondiale sera en place, il ne restera pas beaucoup de place pour les compétitions locales. Même celles qui ont cru pouvoir dépasser leurs voisins….