Il a suffi d’un Tottenham-Chelsea totalement « VARé » pour que se réveillent des réflexes et visions tactiques d’un autre temps. Spectaculaire saut dans le temps avec le jeu du hors-jeu. Et surtout réjouissance de revoir un football « différent » qui a pu choquer les jeunes générations !
Il a fallu un VAR en délire lors de Tottenham/Chelsea pour, paradoxalement, nous rappeler des temps anciens. Deux cartons rouges, cinq buts refusés, 111 minutes de jeu, on est bien en 2023 ! Surtout, symbole de cette ère avancée, l’un des buts refusés à Chelsea pour hors-jeu a abouti, finalement, à un carton rouge pour Christian Romero et au penalty de l’égalisation pour Chelsea. De quoi, singulièrement, changer le match. Attention, la décision était parfaitement justifiée dans un cas, comme dans l’autre. Mais convenez que, si le score n’en a pas été modifié (seul le buteur…), cela a entraîné un autre match avec un joueur de moins côté Spurs. Et puis, il y eut ce deuxième rouge pour Udogie au début de la seconde période. Toute autre équipe aurait fait le dos rond et redescendu d’un cran. Mais pas le Tottenham d’Ange Postecoglou. Bien loin de se replier et de regrouper ses arrières, les Spurs se sont alignés sur la ligne médiane et provoqué la profondeur côté Chelsea. Les Blues en ont été longtemps troublés avant de trouver la faille vingt minutes plus tard. Et d’achever le trait sur la fin provoquant la toute première défaite de Tottenham cette saison (4-1). Depuis, j’entends les jeunes générations s’étonner de ce « suicide » à la mode Spurs. Un retour dans le temps s’impose. Ce que les joueurs de l’entraîneur australien Ange Postecoglou ont essayé d’interpréter est une méthode des plus classiques d’un football ancien. On appelait cela « jouer le hors-jeu ». Deux principes différents sont accolés à cette expression.
Le premier surprendra moins les jeunes générations. C’est le hors-jeu « piège » qu’un défenseur actuel peut encore utiliser par malice. Je sens l’appel de l’attaquant, je monte vite d’un pas en espérant que le timing de la passe permettra de mettre l’attaquant hors-jeu. Et qu’une partie du corps ne traîne pas trop pour le VAR… A l’époque, il convenait d’accompagner la manœuvre d’un bras levé ferme pour obtenir la bonne décision de l’assistant. Franco Baresi, l’immense défenseur milanais, était le maître en la matière. Mais Baresi a surtout incarné le deuxième principe, la tactique du hors-jeu. En ces années 80/90, le pressing très haut était très loin d’être généralisé. Même Johan Cruijff et son Barça étaient très en retard sur ce chapitre par rapport à ce que généra Pep Guardiola quinze ans plus tard. Pour autant, il y avait déjà chez Cruijff, comme Sacchi au Milan, une volonté de récupérer le ballon plus tôt en pressurant l’adversaire.
Aujourd’hui, Pep Guardiola a inspiré un pressing très haut dès la relance adverse. Ce qui pousse toute l’équipe vers l’avant. Mais si ce pressing est déjoué, même son Manchester City recule largement et se réorganise bien plus bas. Point de cela dans les années Sacchi. Le principe était même inverse. La conception commençait derrière, avec une défense ultra haute. Ce qui poussait le milieu vers l’avant et permettait une récupération plus haute. Et un outil essentiel de cette tactique consistait à « jouer le hors-jeu ». En l’espèce, si le premier rideau était déchiré, Baresi poussait sa défense vers l’avant pour mettre les attaquants hors-jeu et provoquer la passe. Attention : c’était un temps sans VAR. Les croisements de course entre défenseurs et attaquants provoquaient parfois de telles différences que le drapeau se levait un peu vite. Et on n’usait pas de la vidéo, ni ne laissait continuer les actions… Et le ralenti révélait ensuite l’occasion envolée pour un hors-jeu non existant ! Mais le concept avait quand même son revers. La défense de Cruijff jouait moins systématiquement le hors-jeu (Koeman était le libéro du Barça), mais lorsqu’elle passait au travers, elle acceptait le risque qu’un attaquant adverse puisse lui échapper et se retrouve avec trente mètres de liberté devant lui… C’était la révolution du jeu au tournant des années 80/90. Le temps des oppositions de style face à des équipes plus restrictives.
Et comme il se trouve que ce football a gagné les titres et les cœurs, beaucoup d’entraîneurs ont, alors, emboîté le pas. On se souvient de Raymond Goethals, entraîneur qui avait fait les beaux jours du jeu défensif en Belgique, venir jouer le hors-jeu avec l’OM à…Milan en quart de finale de la C1 en 1991. Et l’éliminer avec brio ! De même, devant la réussite de Cruijff (quatre titres consécutifs, la première C1 de l’histoire du Barça !), le grand Real Madrid allait lui-même glisser dans ce sens. De là à dire que la mise en hors-jeu s’est alors généralisée serait exagéré. Mais, en tout cas, c’était une tactique connue et fort usitée pour qui voulait (ou avait besoin) annihiler un adversaire ou attaquer fort. Pour autant, ce n’était pas la première fois que le concept était utilisé. Pour lutter contre l’arrivée du béton et des libéros très en retrait (années 50/60), certains penseurs du football avaient déjà œuvré en ce sens en créant la défense en ligne. Le Français Pierre Sinibaldi, avec Anderlecht, était de ces adeptes de la défense à plat. Et le Néerlandais Rinus Michels et son football total (Ajax, Pays-Bas) allait en développer une autre forme. Sans doute plus désordonnée avec ces incroyables rushes collectifs de toute l’équipe vers l’avant…
Ange Postecoglou n’a donc rien inventé lundi soir contre Chelsea. Et ceux qui pensent que Tottenham s’est « suicidé » en procédant de la sorte, doivent réviser leurs classiques. Cela aurait pu troubler bien plus longtemps Chelsea si Sterling n’avait fait le bon appel à la 75’ au bénéfice de Nicolas Jackson. Mais l’entraîneur kangourou a donc revisité des temps anciens qu’à vrai dire, plus personne n’emprunte. A la décharge des entraîneurs actuels, les nouvelles règles ne favorisent pas l’exercice. En 1994, être sur la même ligne que le défenseur devenait légal. Et, avec le VAR désormais, il suffit d’un bout de mollet du défenseur qui traîne pour valider une position avancée d’un attaquant. A l’époque, le drapeau était preste et se levait très vite. C’était le temps de l’avantage à la défense. On refusait même des buts sur des tirs de 25 mètres au motif qu’un attaquant sur l’aile était hors-jeu de position. Merci donc à Ange Postecoglou d’avoir fait revivre des tactiques anciennes et appris aux jeunes générations. Même si notre temps peu conceptuel et très factuel et data risque surtout de retenir les trois buts encaissés et la défaite. Pour autant, je ne suis pas certain que Chelsea sorte renforcé de ce succès prestigieux. Et que la confiance de Tottenham sera entamée par cette rencontre riche d’enseignements…y compris tactiques.