ADMIRABLE REAL MADRID

Je vais peut-être choquer mais je suis assez heureux de cette demi-finale Bayern-Real en Ligue des Champions. Au moins est-on assuré d’avoir un grand club historique en finale ! Mais, si le Bayern et son économie réelle est le vrai modèle européen, on est bien obligé d’admirer le Real Madrid après cette semaine exceptionnelle menant au titre espagnol et en demi-finale de la Ligue des Champions.

La France ne les aime pas. Elle n’aime pas les grands clubs historiques qui « gagnent toujours ». Les clubs comme le Real Madrid, quoi ! Peutêtre parce qu’elle n’en compte aucun, après tout ! De fait, comme les peintres (domaine où l’on est bien mieux classé dans la hiérarchie mondiale…), on est passé de la période Reims à celle de Saint-Etienne, puis Bordeaux, Marseille, Lyon et, enfin Paris. Mais point de continuité, point de géants avec 30 titres de champion comme dans tout pays de foot qui se respecte. Pourtant, si amoureuse de son passé, la France pourrait au moins respecter ces grands clubs qui dominaient tant et tant le football mondial. Car, pour le coup, c’est moi qui grince lorsque la finale affiche Manchester City-Chelsea en 2021. Et je craignais fortement le PSG-City en finale à Wembley en 2024. Un temple du football n’aurait pas mérité un tel affrontement. Il aurait même probablement dégoûté les Anglais de venir assister à cette finale.

En effet, l’Angleterre honnit Manchester City et son Etat (Abu Dhabi) qui le finance. Elle n’a pas l’opportunisme français qui consiste à faire l’autruche, et à se dire qu’après tout, le PSG est quand même bien utile pour les points UEFA. Même si la France du foot a compris que le ruissellement n’est pas pour demain, elle sait que le secours politique du Qatar va la rassurer très bientôt sur le dossier épineux des droits TV. Au contraire, les Anglais détestent les nouveaux riches qui transforment leur football. Certes, ils ont intégré que les propriétaires de leurs clubs sont le plus souvent étrangers. Mais le pire symbole reste pour eux le club d’Etat Manchester City. Du coup, les cinq titres en six ans et le jeu de Guardiola sont peut-être admirés, mais sûrement pas loués par le peuple anglais. Qui se rassemble aussi, et pour les mêmes raisons, contre le PSG lorsqu’il traverse la Manche. En début de saison, la presse britannique avait ainsi raillé le PSG milliardaire lorsqu’il s’était fait étriller à Newcastle (1-4)… Aurais-je donc hérité de leur conservatisme en soutenant les vieux grands clubs européens. En fait, j’ai surtout peur pour l’avenir du football. A l’arrivée des nouveaux entrants, juste à l’aube des années 2010, les grands clubs apparaissaient encore solidement en place et continuaient d’engranger les Coupes d’Europe. Notamment les géants espagnols, Real et Barça. Il semblait qu’il faudrait encore quelques années pour voir les nouveaux riches parvenir à leur niveau d’expertise football.

De fait, Chelsea a performé immédiatement, mais moins sur le plan international. Et Manchester City a même perdu plusieurs années en jetant l’argent par les fenêtres. Et encore plusieurs autres à balbutier l’Europe, y compris même avec Guardiola. Quant au PSG, s’il a tout de suite été puissant, il butait encore sur son objectif avoué, la Ligue des Champions. Et puis les géants ont commencé à s’épuiser à vouloir suivre ces nouveaux riches. La dizaine de gros budgets a subi les premières défections. La Juve et le Barça, les premiers, ont lâché. Et, en dehors du Bayern et du Real, qui, parmi les anciens, a encore les moyens de suivre ? Sur les gros transferts, ce ne sont plus que 5 ou 6 clubs qui sont en position d’acheter. De sorte que chaque année semble nous rapprocher de la fin des anciens clubs dominants. D’où mon plaisir de retrouver une demi-finale Bayern-Real qui assure au moins la présence d’un grand ancien en finale et, aussi peut-être, un duel de succession savoureux avec le PSG.

Dans ce contexte, il faut louer le Real Madrid d’être toujours là et d’incarner un ADN foot et un ADN Europe dans un contexte de haute concurrence. Le Real n’a absolument pas dominé Manchester City. Celui-ci aurait même pu gagner les deux matches. Mais le Real garde intacte cette moëlle qui en fait l’équipe à battre chaque saison en Europe. Et, dimanche, il a récidivé dans un « Clasico » dont il était assez loin d’être le meilleur. Mais, là encore, l’état d’esprit a sauvé la Maison Real. Et cela est tout, sauf le hasard. J’ai été dans les tout premiers à utiliser le mot « institution » dans le football. Je ne le fais plus désormais ! Car, largement repris, il est devenu un fourretout, une tarte à la crème permettant aux débatteurs de dire à peu près tout…et surtout son contraire ! En les écoutant, je crois qu’ils confondent club de foot et grande organisation internationale ou Etat. Il faudrait donc qu’il soit un modèle de droiture, que le Président incarne les plus hautes sphères, que les moquettes soient bien épaisses et que les joueurs ne parlent, ni ne contestent jamais…

Quel rapport avec l’ADN foot d’une institution ? Aucun à mon goût ! Au Bayern, tous les ans, il y a pourtant des phrases qui fusent de la part d’entraîneurs ou de joueurs mécontents. C’est dans la nature même du football et personne n’oserait l’ineptie de dire que le Bayern n’est pas une institution. Par contre, il est vrai que ce joueur ne dépassera jamais un certain point. Car il sait ne pouvoir gagner contre l’institution à terme.

Idem pour un dirigeant qui se doit d’incarner une continuité à la tête du club. Et ne peut à sa guise transformer l’image et la politique d’un club comme il le ferait aisément ailleurs. Et c’est dans ce même esprit que, chaque jour à l’entraînement et lors des matches, le joueur sent toute l’histoire du club derrière lui. Nul besoin de faire des études de psychanalyse pour ressentir tout ce que représente le port du maillot blanc du Real Madrid. Les exploits du Real la semaine passée s’inscrivent dans cette continuité. Carlo Ancelotti n’a certainement pas besoin de beaucoup de mots pour convaincre ses joueurs de ce qu’il faut faire pour éliminer sans doute la meilleure équipe d’Europe, Manchester City. Quitte à sacrifier la manière et son match individuel à la manière d’un Jude Bellingham. Le Real a donc su « jouer la carotte » pour sortir City en défendant 120 minutes. Mais aussi abattre le Barça à la volonté en toute de rencontre (3-2). Bien sûr, le talent individuel a compté dans ces succès. Sans Kroos, Bellingham, Vinicius, mais aussi Rüdiger et Lunin, le Real ne s’en serait pas sorti. Mais c’est l’incroyable esprit du Madrid qui a marqué les esprits et fasciné.

Au loin, les mécréants qui s’imaginent que lorsqu’on est le Real, le Barça, ou le Bayern, tout est facile. C’est tout le contraire. L’exigence y est pointue. Et l’époque guère favorable. Basé sur le modèle socios (le Real appartient à ses supporters de par ses statuts), le club Merengue ne peut compter sur l’argent de son Président milliardaire, Florentino Perez. Pour suivre la course aux armements entretenue par les nouveaux riches, le Real doit faire valoir son nom et tout son poids pour obtenir les soutiens nécessaires. Car le maillot blanc et tout l’ADN foot du monde ne suffisent pas à faire gagner tout là-haut. Il faut bien à la fois entretenir ce passé et faire grandir sans cesse ce club ancestral. Le Real Madrid est ainsi en passe de finir son nouveau Bernabeu pour 600 Millions d’Euros. Une rénovation nécessaire (le Barça met, lui, un Milliard pour rénover son vieux Camp Nou) et obligatoire pour suivre le rythme.

Bien sûr, les Français relèvent l’endettement du Real Madrid. Sans songer à tout ce qu’il a fallu réaliser pour avoir la capacité de s’endetter auprès de banques, investisseurs, amoureux… Combien de clubs français peuvent rêver d’investir par l’endettement ? La création de la DNCG, dès les années 90, répond à cette question. Nous savons tous que nos clubs sont bien mortels. Et que les banques ne viennent jamais sauver un club en France. Il fallait donc faire la DNCG pour empêcher les clubs français de mourir. Cela dit, avec le temps, l’Espagne a créé un contrôle financier encore plus contraignant que notre DNCG. Car si le Real ou le Barça sont immortels, de par leur image et leurs soutiens considérables, ce n’est pas le cas des autres clubs espagnols qui frôlaient l’asphyxie. L’Espagne a donc accepté l’idée de gagner moins de coupes d’Europe. Les années de domination ibérique (de 2006 à 2020) s’éloignent.

Sauf pour le Real Madrid qui arrive encore à lutter contre les nouveaux riches et…les Anglais. Et, sur ces trois dernières années, le Real Madrid a réussi à sortir deux fois Manchester City. Certes, au vu de ces six matches gigantesques, il est difficile d’affirmer que le Real est plus fort que les Anglais. Il n’était pas non plus supérieur à Chelsea et à Liverpool lors de son dernier triomphe en 2022. Voilà pourquoi on redoutera, jusqu’au bout de cette Ligue des Champions, cet inoxydable Real Madrid. Encore capable de gagner la Ligue des Champions après avoir été dominé par Leipzig en 1/8e et City en quart. Car tel est le phénix Real Madrid…

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