LA FAUTE ORIGINELLE

Il y avait trois personnes pour accueillir les joueurs du PSG après leur nul à Strasbourg confirmant leur titre de champion 2023. En l’espèce, c’est le onzième titre du club parisien qui devient le club le plus titré de l’histoire du football français. Pas mal en seulement 53 années d’existence…

Alors pourquoi une telle indifférence généralisée ? Bien sûr, le titre sera remis officiellement ce samedi face à Clermont et le Parc aura droit à son moment de fête et son feu d’artifice. Mais il n’est même pas certain que ce soit un instant joyeux. Alors pourquoi tant de distance et de rejet ? Certains nous expliqueront que ce club du PSG est sans histoire et bien trop artificiel pour attirer l’attention du grand public. C’est un ressenti récent, lié à l’histoire qatarienne du PSG. Mais il n’est pas réel. Le PSG est un vrai club de foot, certes loin des standards populaires classiques puisqu’élevé au pays du showbiz et assumant pleinement cette part de son histoire. Elle remonte d’ailleurs à ses débuts dans les années 70 et pas du tout aux nouveaux propriétaires qatariens. Daniel Hechter, Francis Borelli et également Canal+ ont incarné cette identité « show off ». Et on pourrait presque dire que le Qatar a presque rationnalisé cet aspect un peu dilettante et prétentieux du grand club parisien. Il a amené des structures (un Parc rénové, un siège social, un centre d’entraînement ultramoderne en finition à Poissy), de l’organisation et un développement marketing assez phénoménal. Et pourtant, l’identité du PSG n’a jamais été aussi discutée. D’autres n’hésitent pas à dire que c’est le Qatar, propriétaire au titre du petit état gazier, qui créé cette impopularité générale. Evidemment, dans un pays où une partie importante de l’électorat glisse vers l’extrémisme et la xénophobie, on ne peut pas écarter cette piste. Et elle se mélange avec le dégoût usuel de la France pour les riches. Témoin, cette époque où le PSG n’était pas le plus riche et le plus « show off » de la capitale lorsque Matra reprit le Racing Club de Paris pour le mener en D1. A l’époque, paradoxe ultime, le Matra Racing attire presque deux fois moins de spectateurs qu’un PSG qui apparaît aux yeux du grand public plus populaire et sympathique. Comme dit Kylian, « le football, il a changé »…

De fait, la conjugaison d’un propriétaire étranger et riche forme un cocktail de nature à éloigner un public français. Celui-ci aime bien les grandes stars, rassurez-vous. Mais à condition qu’elles soient gratuites… On pousse un peu le trait. Mais il faut se rappeler un temps où le football français était le plus financé par l’argent public. Certes, le débat existait lorsque la faillite guettait un club (la chute de Bordeaux et de Claude Bez, notamment). Mais, globalement, le français n’était pas choqué de voir les subventions municipales servir à se payer un avant-centre de qualité. Curieusement, dans un temps où l’image domine tout, ce genre d’artifices n’est plus du tout toléré par la population. Et l’électeur sanctionnerait lourdement un Maire qui ferait des cadeaux à un club de football. À mettre en perspective avec le débat PSG-Mairie de Paris actuel où seuls les supporters acharnés et aveugles du PSG peuvent imaginer que Madame Hidalgo ferait bien d’accepter de brader le Parc qui n’aurait « aucune valeur sans le PSG », selon eux. Ils sont bien ignorants de ce que la population de la ville (et les Domaines, l’Etat donc) penserait d’une telle entourloupe. Bref, il faudrait du très haut niveau pour satisfaire l’exigeant public français, mais avec le minimum d’argent. De fait, ce grand public est aisément écartelé entre ces deux logiques. Et, comme les grandes entreprises, il se réfugie dans l’amour de l’équipe de France qui a l’avantage d’être à tout le monde, et dont les «millionnaires» sont payés par leurs clubs étrangers… Ces raisons ont quelque rationalité et expliquent aussi sûrement que la dualité Parisreste de la France une partie du désamour pour le PSG. Sur ce point, c’est une évidence, Paris souffre d’un handicap notoire. Non seulement, c’est la capitale et grande métropole du pays, mais surtout elle écrase les autres. Centralisme excessif et petitesse des villes concurrentes en sont des causes bien françaises. Certes, Londres n’est pas populaire partout en Angleterre. Mais Manchester ou Birmingham sont des pôles de plusieurs millions d’habitants qui « matchent » avec Londres. Quand la région parisienne affiche ses 12 millions d’habitants, l’agglomération lyonnaise ou marseillaise ne passe même pas les 2 millions. Cet écart accroit, évidemment le ressentiment pour le grand et omnipotent Paris. Surtout, Londres va avoir l’an prochain huit clubs en Premier League. De sorte que chacun d’entre eux a une identité de quartier. Certes, Arsenal l’orgueilleux va se trouver des ennemis vers le nord de l’Angleterre. Mais rien de comparable avec le PSG qui apparaît comme un authentique représentant de Paris l’arrogante et méprisante capitale. Comme par hasard, le PSG a d’ailleurs réussi une spectaculaire percée marketing dans le monde entier. Mais surtout loin de la France. On voit sûrement plus de maillots du PSG en Afrique, voire en Amérique (l’effet Jordan, la marque !) qu’en France où l’engouement est, certes, important mais rien à voir avec un club champion à neuf reprises depuis 2012.

Pour autant, le PSG est, naturellement, plus ancré dans l’esprit des Français depuis qu’il écrase la Ligue 1 qu’à l’époque où il se sauvait difficilement. Et il attire les regards de tous, qu’ils veuillent son succès ou son échec. Mais le succès triomphant ne lui offre pas la popularité générale. On peut même dire qu’une partie de l’ennui que suscite son titre 2023 provient en bonne partie de la banalité de ce succès. De fait, lorsque vous avez cinq fois la masse salariale du second du championnat, le succès apparaît plus élémentaire que spectaculaire. Reste que le Bayern, Manchester City ou Barcelone ont ou vont fêter comme il se doit leurs titres respectifs. Et ne parlons pas de Naples… Le Bayern vient pourtant d’être couronné pour la onzième fois consécutive ce qui pourrait engendrer un légitime ennui. Il fêtera pourtant abondamment un titre arraché peu brillamment à la dernière minute du dernier match. Et Manchester City aussi, pourrait être considéré comme un club artificiel (si l’on oublie sa riche histoire de club populaire d’antan…) et que les pétrodollars « boostent » jusqu’à un impressionnant cinquième titre en six ans dans le championnat le plus exigeant du monde. Alors pourquoi le PSG serait le seul à ne pas vraiment fêter son titre de champion national ? Il y a également des raisons sportives. La saison 2022/23 a été bien morne. Après une phase pré-Coupe du Monde très réussie (leader invaincu), la deuxième partie a été plus douloureuse. Six défaites et des adversaires comme Lens et l’OM qui ont même pu menacer le leader. Pour un finish au forceps en deçà des 90 points. Un bilan trop ordinaire pour un PSG qui devrait gagner 5-0 chaque semaine pour satisfaire les attentes. Mais je n’ai pas évoqué la Ligue des Champions… Sacrilège ! Car la faute originelle du club parisien tient dans quelques notes de musique magiques. Dès leur arrivée, les dirigeants qatariens ont évoqué « the » objectif: gagner la Ligue des Champions. Depuis, le PSG s’en est approché, mais sans la gagner. Depuis, d’année en année, l’obsession est devenue un véritable boulet. La victoire à Clermont (5-0) en août ? Ah, mais ce ne sera pas assez si l’on veut briller contre le Real ou le Bayern en février !!! Voilà de quoi est fait le quotidien de ce club à part, le seul qui revendique comme objectif une épreuve où l’élimination directe et l’aléa sont la règle d’or. Et, dans ce monde absurde du PSG, tout est référence à la Ligue des Champions. Comme le premier tour est généralement une simple formalité, ce club vit pour quelques matchs (souvent trop peu, du reste) au printemps. Un défi à tout ce que l’on connaît au foot : le feuilleton des matchs, les rivaux nationaux, la construction d’une équipe au long de l’année. Ici, rien de tout ça. On empile des joueurs de talent, tout en se disant qu’il faudra qu’ils soient à leur top en février, donc dans 6, 4, ou 2 mois… Si ce n’était qu’une question de communication externe, ce serait déjà moins grave. Mais tout est vécu en ce sens à l’intérieur du club. Recruter essentiellement des joueurs étrangers n’arrange pas les choses. À longueur d’interviews, ces joueurs reflètent le discours qu’on leur tient. Où fleure incidemment la condescendance vis-à-vis de la Ligue 1 et du passé du club. Des maladresses ?

Non, la culture nouveau riche qu’ils ressentent à leur arrivée. Du coup, tout est arrogance au long de l’année (ces attitudes, lorsque l’équipe est accrochée en ligue 1…) pour finir en tension extrême dès que surgit le printemps européen. Le dernier mois avant le huitième de finale se vit en apnée. Neymar va-t-il se blesser ? Verratti va-t-il pouvoir enchaîner deux matchs ? Est-on (enfin) prêt ? Bien sûr, tous les grands clubs vivent autour de ces grands rendez-vous. Mais ils se préparent dans le quotidien d’un staff, d’une équipe. Et le résultat final n’est que la résultante d’un travail sur l’année. Manchester City et l’Inter sont en finale cette saison. Bien sûr, les choses auraient pu tourner très différemment. Mais on ne peut nier une certaine continuité. Dans ses difficultés de première partie de saison (et encore en janvier), Pep Guardiola a préparé et cherché des solutions tactiques, des ressorts. Même dans son irrégularité, l’Inter de Simone Inzaghi gardait toujours une ligne et retrouvait la cohérence sous le ciel européen. Pendant ce temps, le PSG papillonnait et s’éparpillait d’affaire en affaire. C’est bien simple, c’est sans doute la seule équipe qui a baissé de niveau à peu près tout au long de la saison. Rarissime… Forcément, les matchs contre le Bayern en 1/8e ne se sont pas passés comme prévu. Et le PSG a disparu dans un anonymat le plus total après deux matchs bien ternes et sans même marquer. D’autres équipes sont sorties piteusement de l’Europe. Mais peu (Chelsea mis à part…) ont semblé s’effondrer sur elle-même comme le PSG dès l’élimination consommée. Le football de haut niveau est un métier. Un travail quotidien, une construction permanente. Celui qui est dans l’émotion permanente et s’inflige des ambitions sans raison paie très cher ce manque d’équilibre. Voilà pourquoi le PSG n’a même pas le cœur à la fête après avoir gagné le titre de champion, la base de tout club « normal ». Voilà pourquoi ce club est si différent des autres. Voilà pourquoi les joueurs qui y passent n’y retrouvent pas l’équilibre habituel de leurs anciens clubs de football et ne semblent jamais trouver leur meilleur niveau. Attention. Chaque club a ses travers. Le Bayern a sans doute commis un paquet d’erreurs cette saison. Il a même viré un entraîneur leader, ce qui n’est pas gage de sérénité. Et Président et Directeur Sportif en fin de saison. Pour autant, il sait ce qu’il fait, et pourquoi il le fait. Et sûrement pas pour annoncer que l’année prochaine, cette fois, c’est sûr, c’est la bonne année. Ce sera la victoire en Ligue des Champions… Ça, c’est le discours réservé aux fans du PSG qui commencent à avoir la peau lisse à force de se frotter les mains à chaque début de saison. Il y a une part de hasard dans la réussite d’un sportif ou d’un club. Mais, dans le très haut niveau, jamais on n’aura laissé autant de chances au hasard des mots…

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