La sélection radieuse

Finalement, le peuple français n’est pas bien différent de Noël Le Graët. Le dirigeant breton, dans un lâcher-prise pour le moins planant, avait ainsi considéré hâtivement que la finale de la Coupe du Monde de la bande de Didier Deschamps le protégeait de tout. Y compris de ministres des sports qui passent, quand lui reste. Selon ses dires…

De la même manière, je ne vois pas la moindre pointe d’inquiétude chez les français à l’heure d’aborder une nouvelle qualification pour l’Euro Allemagne 2024. Comme si la rocambolesque finale de la Coupe du Monde 2022 protégeait la France. Curieusement, un pays entier a oublié les premières 60 minutes catastrophiques (dans les grandes largeurs) de la finale. Pour mieux se souvenir d’une remontée irréelle et de quelques oublis de l’arbitre qui auraient pu condamner l’Argentine dans la fin de match et offrir un nouveau titre à la France…  

La démonstration est aussi imparable que « la Cité radieuse » de l’architecte Le Corbusier à Marseille. Elle promettait un avenir sans nuages à tous ceux qui voulaient bien y croire et y habiter. Comme si le bien-être collectif coulait de source. Il semble qu’il n’ait pas davantage de doutes et de précipitations pour l’Equipe de France dans le futur.

Il n’est tout simplement pas possible d’imaginer un autre scénario sur le vu de la fin de la finale. Essayez de suivre le raisonnement, en tout cas si vous voulez n’avoir pas l’once d’un doute à l’heure de retrouver les Pays-Bas (ce soir) et l’Eire en ce groupe de qualification contenant également la Suède. Une tâche pas si évidente, en fait, mais la France s’est tellement qualifiée depuis vingt-cinq ans que plus personne n’imagine même une élimination. Comme en Italie, sans doute… Il est vrai que, de fait, avec 24 qualifiés, l’Euro offre quelques largesses…

Revenons à notre démonstration. Avec les sept changements effectués en finale, l’Equipe de France qui a fini le match a tout renversé et promet donc un avenir radieux. Or, ces sept remplaçants (Disasi, Fofana, Marcus Thuram, Camavinga, Coman, Kolo Muani et Konate) sont bien sur la première liste de Didier Deschamps après la Coupe du Monde. Parlant de l’équipe de France, Alain Giresse me disait l’autre jour que ce discours lui rappelait l’après Platini. « Lors du match pour la troisième place en 1986, toute la France a vu en Vercruysse et Ferreri les numéros 10 de demain. » On connait la suite.  L’impasse était au bout du chemin avec une double absence à l’Euro 88 et à la Coupe du Monde 90.

Difficile d’être aussi pessimiste aujourd’hui alors que Kylian Mbappé est bel et bien encore là. Et même au centre de tout depuis que Didier Deschamps lui a confié le brassard de capitaine. Cette décision était très attendue. Le symbole est en effet très fort. L’équipe de France de Deschamps était d’abord un bloc Lloris-Varane-Kante-Pogba-Griezmann-Giroud, pigmenté de la fraîcheur et du talent de Kylian Mbappé. Ca, c’était le titre 2018 et les années suivantes. Et puis, il y eut l’épisode Benzema à l’Euro 2020 (disputé en 2021).

Difficile de classer cette courte période de l’ère Deschamps. Le raccourci « arrivée de Benzema = échec à l’Euro » est évidemment caricatural et une insulte au bon sens. Techniquement, il n’y aurait aucune raison à attribuer à Karim Benzema le crash de l’Euro. D’abord parce que Deschamps n’a pas rappelé Benzema en faisant d’un coup repentance de l’avoir écarté. Il a simplement acté une sérieuse baisse d’efficacité offensive de son équipe et pensé que Benzema était la solution, alors que Giroud ne jouait plus en club et Griezmann en délicatesse au Barça.

Mais les conséquences de l’arrivée de Benzema dépassaient, bien sûr, largement le terrain. Un tel joueur ne peut passer inaperçu et ne pas modifier l’équilibre de l’équipe et du groupe. De fait, Antoine Griezmann en a été la victime la plus évidente. Car Benzema, c’est Griezmann en plus fort. Aussi bien dans la construction que devant le but.

Et Mbappé dans tout ça ? Dépassons les analyses psychologiques à deux balles sur l’ombre que ferait l’un sur l’autre. Ce qui est néanmoins sûr, c’est que l’équipe de France retrouvait avec Benzema une créativité qui ne poussait plus Mbappé à tenter ces raids individuels qui sont aussi une marque de fabrique qui entretient la fascination du grand public. On ne dira pas que cela traduisait une baisse d’influence de Mbappé. Mais très certainement une baisse de la dépendance à Kylian.  

De là à en déduire que le départ sur blessure de Benzema à l’orée de la Coupe du monde arrangeait Mbappé est un bien grand mot. Mais, la nature ayant horreur du vide, les conséquences de cette absence était assez claires. La France version 2022 allait se révéler ultra-dépendante de Kylian Mbappé. Peu entreprenante et créative, elle s’en remettait le plus souvent à son génie et ses actions individuelles. Certes, Giroud a pu rendre les services habituels, notamment dans la surface. Mais ses huit buts ont tellement pesé dans le parcours français que Mbappé est devenu la référence de cette sélection version Qatar.

Et l’après Coupe du Monde n’avait aucune chance de modifier la donne. Mieux, les retraites – plus ou moins programmées – de Lloris et Varane, ajoutées aux absences prolongées de Pogba et Kanté ont modifié la donne et les équilibres du groupe France. La France a fini la finale 2022 avec Lloris dans les buts et dix joueurs de champ, dont seul Kingsley Coman dépassait les 24 ans… Neuf joueurs sur onze à moins de 25 ans !

Comment Deschamps aurait-il pu dès lors donner un légitime brassard à Griezmann ? Et ne parlons même pas de Giroud. Ces discussions me rappellent ces débats répétitifs sur tel joueur qui aurait mérité un Ballon d’Or. Mais quand et aux dépens de qui ? Il serait plus simple de récompenser quelques grands joueurs d’un ballon d’Or d’honneur pour l’ensemble de leur carrière. De même, ici, donner le brassard un soir à Giroud peut être un joli moment. Mais lui attribuer réellement serait tourner le dos à l’avenir et n’aurait guère de sens. La question est plus délicate pour Antoine Griezmann qui serait parfaitement légitime. Qu’il soit déçu ne fait guère de doute. Mais il est probable que son hésitation est aussi celui de sentir une génération qui part…

Kylian Mbappé est donc devenu le leader naturel de cette équipe de France en forte voie de rajeunissement. Si les besoins de polémique ont entretenu le débat dans toutes les rédactions et sur tous les plateaux, tout le monde sait pertinemment qu’on n’en parlera guère longtemps. On peut aimer ou pas, le fait est que Didier Deschamps ne pouvait guère faire autrement. Et, par les temps qui courent à la FFF, éviter une vraie grosse polémique était une priorité absolue.

Le vrai débat pour moi concerne le niveau de cette équipe de France nouveau cru. Personne ne songe ici à douter de Mike Maignan dans les buts, Upamecano ou Konate derrière, et encore moins Tchouameni au milieu. Beaucoup espèrent même un grand renouvellement avec Eduardo Camavinga et, devant, Randal Kolo Muani ou Marcus Thuram.

L’avenir paraît donc radieux pour les bleus. Cette croyance est encore renforcée par les absences lors du dernier Mondial. Tous ceux, auxquels le grand public ne croyait pas, ont apporté durant l’épreuve suprême. Reste le plus difficile à mon sens. Les jeunes nous ont habitué à n’avoir peur de rien. Et démarrer en plein mondial était presque une aubaine pour eux. Confirmer ensuite pourrait être plus délicat. Si le talent individuel ne se discute pas, notre temps sous-estime totalement l’aspect collectif des choses.

Certes, l’équipe de Didier Deschamps ne se caractérise pas forcément par un génie collectif dans le jeu. Mais on fait trop peu de cas du vécu collectif. De ces moments difficiles traversés avec succès par les Lloris, Varane et autres. Ce vécu, ces habitudes qui ont compté contre l’Angleterre ou le Maroc au Qatar. Et ça, ça ne s’invente pas. On a pu, parfois, trouver que DD avait un animal soyeux qui accompagnait régulièrement le parcours de son équipe. En fait, on appelle cela régulièrement la chance, l’expérience, la « gagne », même si ce dernier mot n’a jamais trouvé de définition bien établie…  

Or, ce vécu commun sera désormais peu présent dans cette nouvelle équipe de France. Je m’étonne qu’aucun observateur ne relève ce fait. Et préfère s’enthousiasmer sur la qualité des joueurs et la formation française. On a pourtant tous connu des équipes qui avaient toutes les qualités pour gagner et qui, pourtant, n’y parvenaient jamais. Qu’est-ce qui nous dit que les nouveaux talents d’aujourd’hui vont forcément réussir ensemble ?

Et si, d’un coup, l’équipe de France n’avait pas de chance ? Je vois déjà les analystes de l’après trouver plein de bonnes raisons lors à un échec. Surtout lorsqu’ils ne l’avaient même pas envisagé avant. 2002, bien avant 2021, avait déjà offert ce type de curée. Je ne souhaite, ni ne pronostique des lendemains difficiles pour les doubles finalistes de la Coupe du Monde. Mais envisager sous un regard différent l’avènement de cette génération me paraît indispensable. Histoire de ne pas connaître de mauvaises surprises. A commencer par ce soir face aux Pays-Bas…

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