LE GRAND « CHAMBOULE TOUT »

Du jamais vu ! Jamais une compétition continentale n’avait offert un tel bouleversement des hiérarchies établies. Certes, le Danemark ou la Zambie ont pu, dans le passé, être un surprenant vainqueur. Mais là, c’est uniformément une contestation générale à laquelle nous assistons. Au point de voir Ghana, Tunisie ou Algérie chuter. Et Angola, Guinée Equatoriale et Cap Vert remporter leurs groupes.

Nous débattions la semaine passée sur la réalité, ou non, des fameuses « petites équipes» qui n’existeraient plus… Finalement, on en a retrouvé des traces tangibles. Mais pas du tout là où on le pensait… Le Ghana ou la Côte d’Ivoire peuvent ainsi largement figurer dans cette catégorie. Nonobstant quelques joueurs de talent, ces deux « monstres » ne sont tout simplement pas des équipes au sens usuel du terme. Et, privées de cadre collectif, leurs individualités deviennent faciles à contrer pour des ensembles plus cohérents comme le Cap Vert ou la Guinée Equatoriale. La faillite du Ghana est finalement devenue une habitude. Déjà lors de la dernière CAN. Et, malgré une qualification honorable à la dernière Coupe du Monde, et l’arrivée en force de Mohamed Kudus (West Ham), le Ghana reste un monstre en souffrance. Il faudra quelques temps de normalisation avant qu’une équipe ressurgisse sur la Côte d’Or. Il est plus inhabituel que la Côte d’Ivoire apparaisse dans cette catégorie. Jean-Louis Gasset est évidemment un très bon entraîneur. Mais il est clair qu’il n’a jamais vraiment réussi à construire une équipe chez les Eléphants. Le contexte n’a pas aidé. Arrivé sur les cendres de l’élection fédérale qui avait divisé le football ivoirien jusqu’à anéantir Didier Drogba luimême, l’ancien adjoint de Laurent Blanc a aussi hérité d’une équipe en échec. L’alchimie était vraiment trop complexe à obtenir. Même son point fort apparent, le milieu Kessie-Sangare-Fofana, recelait un tas d’embûches tant il était difficile de distinguer lequel serait capable de faire l’effort pour l’autre. Rappelant les grandes heures promises au Mali de Seydou Keita-Djila Diarra- Momo Sissoko. Une génération en or qui n’a jamais performé, faute d’entente cordiale A quelques jours de cette CAN, j’ai eu un JeanLouis Gasset heureux au téléphone. « Je vais jouer la carte de la jeunesse. Je crois beaucoup en eux. Les anciens sont prévenus, ils savent qu’ils ne seront pas forcément titulaires. » Le sélectionneur français s’est-il mépris sur la valeur de la CAN ? Lui qui n’en avait jamais disputé. Ou sur la valeur de ces jeunes ? Difficile à affirmer alors qu’Adingra s’est blessé juste avant la CAN à Brighton. Hier, la voix claire, Jean-Louis Gasset était empli de tristesse. « J’ai démissionné le soir du calvaire contre la Guinée Equatoriale (0-4). Le Président a pris le temps de me répondre et finalement accepté ma démission. Elle était spontanée, pas préparée. La veille du match, pour égayer le groupe et ne prendre aucun risque, j’ai fait un tennis-ballon. Où Haller s’est retordu la cheville, retardant encore son retour… J’y ai vu un véritable signe que rien ne tournerait dans le bon sens. Vu le match ensuite, j’ai été conforté dans cette idée et donné ma démission pour que tout cela s’arrête. »

JLG n’est pas devenu fétichiste en Côte d’Ivoire. Il serait plutôt un adepte de la loi des séries. Et se l’applique avec droiture. Du coup, il n’a même pas attendu de savoir si la Côte d’Ivoire serait finalement qualifiée. « A 70 ans, je n’ai plus rien à prouver. SI je n’y arrive pas, il faut savoir partir dans l’intérêt de l’équipe. » Grâce à la faillite du Ghana et une victoire du Maroc sur la Zambie, la Côte d’Ivoire figure finalement parmi les meilleurs troisièmes et jouera…le Sénégal. On ne parlera évidemment pas de malchance. Mais la Côte d’Ivoire affrontera l’un des deux seuls premiers de groupe qui était tête de série. Sénégal et Maroc sont seuls dans ce cas. Les autres chapeau 1 ? Un deuxième (Egypte), un troisième (Côte d’Ivoire) et même deux derniers. Que l’Algérie et la Tunisie soient ceux-là est une surprise imaginable. Les échecs des Fennecs, dès que la CAN descend sous le Sahara, sont une réalité historique. Quant à la Tunisie, son instabilité politique et son absence de talents finissent par coûter cher. Globalement, l’Afrique du Nord a largement peiné lors de ce premier tour. Si l’Egypte a survécu à trois nuls, seule le Maroc a apporté des victoires au clan des pays du nord Sahara.

Le malaise est personnifié par le sélectionneur démissionnaire Djamel Belmadi (Algérie). Je n’ai jamais fait d’interview aussi tragique. Elle tourne d’ailleurs beaucoup sur les réseaux sociaux. Face à moi, une personne défaite. Non seulement il annone quelques réponses à peine audibles derrière une main qui lui bouffe le visage, mais sa détresse est tangible, physique. Même son agressivité trahit son mal-être. Pas de quoi attirer Hervé Renard, sollicité pour prendre sa succession. Par contre, reprendre les Eléphants en express (et en détresse) en pleine CAN aurait pu être un coup de génie à la veille d’affronter le Sénégal, le pays où il réside souvent. D’ailleurs, ce premier tour a été avant tout le cimetière des entraîneurs. Ghana, Côte d’Ivoire, Gambie, Algérie, Tunisie ont déjà changé. Et Hoalid Regragui a montré une nervosité inhabituelle qui lui a valu quatre matches de suspension (2 fermes). J’avais ironisé la semaine passée sur ce premier tour interminable de 36 matches pour éliminer seulement 8 équipes sur 24 ! J’avais bien tort, tant cette première phase a été très vivante, emplie de buts et de suspense. Et je n’avais surtout pas su imaginer une telle déroute des favoris. Je continue d’ailleurs de penser que l’Algérie de Belmadi a montré un visage bien différent de celui de 2022. Même si le résultat est sensiblement le même. De même, rien ne laissait présager que, ultra-malheureuse de se retrouver à 0-2, la Côte d’Ivoire allait s’effondrer totalement contre une Guinée Equatoriale bien maligne. On a aussi failli perdre en route le Cameroun, mené par la Gambie à la 87’ d’un match que les Lions Indomptables devaient remporter ! La différence, c’est qu’ils l’ont fait, témoignant ainsi d’un état d’esprit à nulle autre pareil sur le continent. Le Cameroun a donc tout renversé et retrouvera son vieil adversaire nigérian en 1/8e. Et on ne pariera pas que les surprises vont brusquement s’arrêter avec l’arrivée des tours à élimination directe. Une autre compétition commence. Ce qui pourrait arranger l’hôte ivoirien, tout d’un coup si petit face à un Sénégal qui a gagné tous ses matches. Une situation idéale, en somme, par les temps qui courent en Afrique….

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