Entendre Old Trafford chanter ! Et s’entendre penser que United est de retour et peut fort bien redevenir champion d’Angleterre. Ca se bouscule dans les têtes rien de d’évoquer pareil songe. Ici, dans le Théâtre des Rêves…
Alors entendre Old Trafford chanter….
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour un certain nombre de personnes prématurément âgées, ça veut dire beaucoup. Il y avait si longtemps…
Au sortir d’un Manchester United-Leicester (3-0) plutôt tranquille, on ne pouvait que fouiner dans sa mémoire pour retrouver ce cadre plus enchanté. Pas si simple dans ce « théâtre » bourré d’infinis souvenirs dans ce quartier de Trafford pourtant peu aguichant avec son passé industriel et ses entrepôts trop actuels.
Se souvenir des premiers pas ici dans un stade vieillot où Alex Ferguson tardait à s’installer. Avec les Hughes, Pallister et Mc Clair, il n’était pas encore question de titres. Même si Montpellier et le Barça allaient bientôt tomber face au futur vainqueur de la défunte Coupe des Coupes.
C’était en 1991. L’Angleterre sortait du Heysel et des cinq années de suspension européenne. Niveau en berne, stades en rénovation limitée (pour passer aux places assises) et vieux clubs en berne aussi. Le grand Liverpool FC ne sera plus champion avant trente longues années. Le Manchester United de Matt Busby est loin aussi puisqu’un quart de siècle est déjà passé depuis le dernier titre mancunien. Son héritage fut encore plus difficile que celui de Sir Alex… Alors Everton, Arsenal ou Leeds ont profité de cette parenthèse pour devenir des « local heroes ».
Aller à Old Trafford alors, c’est visiter un bout d’histoire du football. Se souvenir que le géant mancunien a longtemps été un club au palmarès inversement proportionnel à la taille des polémiques qu’il véhiculait. Comme le Barça, l’OM ou Hambourg dans les pays voisins. Avant la deuxième guerre mondiale, United n’avait remporté que deux titres et se situait assez loin d’Arsenal, Liverpool, Everton ou même Sunderland, Newcastle ou Sheffield Wednesday. C’est ensuite que le premier club de Manchester (United a quasi toujours devancé City, sauf depuis dix ans…) est devenu un symbole de modernité.
D’abord par la personnalité de l’Ecossais Matt Busby. Cet ancien joueur de…Liverpool et Manchester City fut le premier vrai manager du football anglais. Il dirigeait l’entraînement et le recrutement. Dès la fin de la guerre, il emmène United sur le chemin du succès. Avec des équipes de 22 ans de moyenne d’âge… Ouvert et conscient de la nécessaire ouverture du foot anglais, il convainc ses dirigeants d’être le premier club anglais à disputer la Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1957. Contre l’avis de la Fédération anglaise…
Le club se relèvera encore du drame aérien de Münich en 1958 et trouvera son apothéose en étant le premier club anglais à lever la Coupe aux grandes oreilles en 1968 à Wembley face à Benfica. C’est aussi la fin des années Busby. Et la fin des succès. Découvrir Old Trafford en 1991, c’est soulever un tapis bien poussiéreux. Mais aussi sentir qu’un autre Ecossais, nommé Alex Ferguson, est en train de bouger le géant en sommeil. Certes, il a failli être viré en 1990 au cœur d’une pauvre saison qui offrira tout de même une Cup. Mais Alex incarne déjà une ambition qui ramènera MU vers les sommets, après un premier titre en 1993, vingt-six ans après le dernier de Matt Busby.
Doit-on faire forcément un parallèle entre ces deux incroyables parenthèses de l’après-Busby et de l’après-Fergie ? Pas encore. Il est indéniable que passer après de tels managers est infiniment difficile. Le très habile David Moyes s’y est broyé au départ de Sir Alex en 2013. Il est également évident que Erik ten Hag n’a pas encore réussi. Mais il vient néanmoins d’accomplir un bout de chemin considérable en six mois, comme Van Gaal, Mourinho ou autres Solksjaer en avaient été bien loin.
A entendre chanter Old Trafford de la sorte pour un match relativement simple contre Leicester, la réussite actuelle dépasse le parcours comptable. Pourtant, ce match n’a pas été si simple dans un premier temps. Au retour d’un sacré match à Barcelone (2-2), il a fallu du temps pour déverrouiller les jambes mancuniennes. Et Leicester a suffisamment de qualité offensive pour troubler MU. Mais sûrement pas assez de mental et de résilience pour résister à la première tempête Rashford. On peut admirer la fantaisie et la créativité de Bruno Fernandes capable d’inventer une passe géniale sur Rashford. Mais on est obligé de respecter les certitudes du jeune attaquant anglais. Celui qui était encore un transfert possible au dernier été (après une saison à quatre buts en Premier League !) affiche une efficacité de dingue et enchaîne les buts depuis la Coupe du Monde.
Son doublé face à Leicester ressemblait comme deux gouttes d’eau à un match de Kylian Mbappé. D’abord emprunté et en échec sur ses essais trop complexes. Puis lumineux de certitude face à Danny Ward, alors qu’une simple passe aurait permis à Garnacho de marquer aisément. Et enfin percutant et insistant pour marquer un but copie conforme de celui de Mbappé contre Lille le même jour ! La résurrection de Rashford nous ramène au rôle de Ten Hag.
Evidemment, relancer ce joyau de la couronne est à mettre au crédit du coach néerlandais. Celui-ci a su le mettre en vitrine comme personne. A la trêve, ten Hag a fait des choix simples. Il lui manquait un avant-centre classique, il a offert une nouvelle chance au laborieux Wout Weghorst. Il était un peu court au milieu et l’Autrichien Marcel Sabitzer a apporté immédiatement sa simplicité.
Mais ces deux prêts peu engageants traduisent aussi la volonté de ten Hag de mettre en lumière Marcus Rashford. Weghorst est la complément idéal de son joyau offensif. Dans un premier temps, Rashford va jouer derrière Weghorst. Mais il lui est difficile de combiner avec le Néerlandais, et voilà ten Hag qui inverse les rôles lors du match contre Leeds. En retrait, Weghorst va travailler pour deux et être au service de sa majesté Rashford. Et, une fois que Rashford aura inscrit ses deux buts contre Leicester, il fera tout pour faire marquer le Néerlandais. En vain, maladresse oblige…
Face à Leicester, Rashford a joué en pointe une mi-temps pour faire la décision sur une action. Mais ten Hag sait qu’il a besoin de plus toucher le ballon et de retrouver un peu son côté gauche. Qu’à cela ne tienne. A la mi-temps, voilà Sancho qui rentre dans l’axe derrière Weghorst. Et Rashford marquera son second but en partant de la gauche… Ten Hag, ou comment, tout à la fois, donner du plaisir individuel à ses joueurs tout en gardant intactes les bases collectives !
Mais, pour saisir le cas Rashford, il faut revenir à l’épisode Ronaldo. Il serait évidemment très réducteur d’écrire que le problème de MU, c’était Ronaldo. Autant j’ai toujours dit que les buts et statistiques du Portugais à United étaient très trompeuses (sa période la plus prolifique la saison passée correspond à la plus mauvaise partie du championnat pour United), autant on ne peut mettre tous les problèmes de ce club depuis des années sur le dos.
D’abord parce qu’il n’était pas là quand MU ne cessait d’enterrer la période Ferguson. Ensuite, parce que United ne brillait en aucune zone du terrain lorsqu’il termina péniblement à la 6e place (et 58 points seulement !) l’an passé. Enfin, parce que l’équipe qui a sombré lors des deux premières journées cette saison (oui le 0-4 en une mi-temps à Brentford, c’était il y a six mois seulement….), était totalement à l’envers sans que CR7 en soit responsable. A la limite, Erik ten Hag l’était peut-être davantage avec ses erreurs de « jeunesse », de méconnaissance de la Premier League…
On peut même dire que Ronaldo a beaucoup aidé ten Hag. Celui-ci a commencé par faire de Ronaldo et Maguire des victimes exemplaires pour imposer son autorité. Peu de coaches auraient eu ce courage si tôt dans la saison. Pour avoir croisé plus d’une fois à l’Ajax ce coach si courtois et « si football », je n’avais pas envisagé une telle force de caractère. A mon sens, Ronaldo a ensuite grandement aidé ten Hag par son attitude et son refus d’accepter que sa place ait pu être seulement discutée.
Ce n’est pas tant (ah, ces phrases toutes faites…) que les autres joueurs aient été « libérés » par les revers et l’éviction finale de Ronaldo. C’est plus simplement que le cas Ronaldo a clairement aidé à faire passer le message collectif de ten Hag. Aucun autre épisode n’aurait pu mieux agir en ce sens. Et il se trouve aussi que MU a commencé à gagner. Ingrédient indispensable. Sans forcément briller mais en se forgeant encore quelques certitudes supplémentaires. Après, lorsque vous voyez la manière dont United a survécu à quelques moments difficiles à Barcelone ou contre Leicester, vous n’êtes guère étonné de la trajectoire globale. Bien sûr, il y a des talents dans cet effectif. Il y en toujours eu…
Mais il y a désormais une force collective évidente. Ten Hag peut aujourd’hui changer toute sa défense axiale (parmi 5 joueurs…) sans trembler. Il peut encore varier le milieu, voire se passer de Casemiro, longtemps suspendu, sans dommages. Puisque tout le monde défend… Et s’autoriser, dans cette ambiance de victoire, à relancer des joueurs en déshérence comme le Rashford de l’an dernier. Ou le Jadon Sancho en breakdown de la fin 2022…