Reds de bonheur !

Le football est un sport merveilleux !

Oh, certes, il faut traverser de sacrées détours et imbécillités pour en revenir toujours à cette même conclusion optimiste. Il faut passer par les vestiaires d’Angers, subir un Comex ou entendre que la blessure de Neymar est une « bonne nouvelle pour le PSG ». C’est la rançon de la popularité du football. Il appartient à tout le monde. Et le petit frustré de la vie trouvera toujours dans le foot une oreille attentive à ses désirs et invectives les plus bas.

Ce garçon (en majorité, mais sans exclure les femmes…) a probablement déversé sa bile sur le Liverpool FC tout au long de la saison. Avec des raisons objectives tant les résultats étaient décevants. Et puis il y a eu frémissement ces dernières semaines avec un derby remporté et un succès heureux à Newcastle. Mais j’étais à Sellhurst Park dans le sud de Londres au lendemain de la raclée en Ligue des Champions (2-5 contre le Real Madrid), et une semaine avant Manchester. J’ai pu conclure mon commentaire en estimant que c’était finalement un bon point pour Liverpool que ce triste 0-0 contre Crystal Palace. Navrant !

Match insipide, dénué d’intensité, un milieu de Liverpool aussi critiquable que trois jours plus tôt contre le Real. Pour compléter le tout, une attaque fantôme à l’image d’un Salah peu concerné, et une défense toujours fragile, même si Van Dijk, de retour de blessure il y a peu, semblait sur la bonne voie. Bref, Liverpool était bon pour le rebus et c’était direction l’enterrement pour Jürgen Klopp. Qu’elles viennent de supporters, journalistes ou anciens joueurs devenus consultants, les rengaines étaient de retour sur l’entraîneur allemand. A-t-il encore le soutien des joueurs ? Est-il encore écouté ? L’usure depuis 2015, plus la même motivation, un effectif qu’il a usé, qu’il n’a pas su renouveler. Tout était réuni pour alourdir le cercueil de Klopp.

La patience n’a jamais été l’apanage des foules en football, mais il semble que le temps fait oublier les mauvaises saisons de Bill Shankly, Matt Busby ou Sir Alex durant leurs longs règnes d’un autre temps. Arsène Wenger n’a pas cette chance, probablement car il a fini sur des années difficiles et à une époque où le lynchage de l’entraîneur est le pain quotidien du commentaire.

Mais ce sport est merveilleux et nous étonnera toujours. De fait, le match Liverpool-Manchester United reste le plus grand des affrontements en Angleterre. Les deux clubs sont les plus titrés et, tout à la fois, les plus aimés et les plus détestés du royaume. Et, qui plus est, ils sont éloignés de 60 petits kilomètres, ce qui en fait le derby le plus « hype » de la Premier League, quel que soit le classement des deux équipes.

En l’occurrence, le « derby of England » de dimanche avait un cadre des plus épicés. Pour une fois, Manchester United était en mesure d’étaler sa supériorité, à Anfield même. Et de s’inviter, pourquoi pas, à la lutte pour le titre. De fait, tout ce qui se dit avant un match a toujours un impact sur les joueurs et la rencontre. Malgré sa motivation, le Liverpool FC pouvait apparaître emprunté dans un premier acte où Manchester United affichait bien plus de certitudes. Bruno Fernandes est toujours une merveille de variation et d’improvisation et on redoutait le moment où il allait trouver le « fracasseur » Rashford pour plier Liverpool définitivement.

L’an dernier, c’est bien les « Reds » qui s’époumonaient à courir derrière les quatre couronnes en jeu (Ligue des Champions, Premier League, Coupe de la Ligue et Cup). Les surhommes étaient au bord de la Mersey et contemplaient United de très haut. Pendant que United usait un entraîneur par semestre et s’épuisait à parler de Ronaldo, la bande de Klopp paraissait inusable. Le contrecoup de Liverpool cette saison n’est pas si étonnant. Je m’étonne que personne ne loue la résilience de Manchester City au plus haut niveau. Sans doute le supportérisme ambiant qui fait dérailler toutes les consciences et n’est même pas capable d’imaginer ce que représente gagner 4 titres sur 5 (en étant 2e lors de la saison 2019-20…) en Angleterre. La phrase « oui, mais ils n’ont jamais gagné la Ligue des Champions » complétant en général « l’analyse ». Comme s’il n’y avait pas qu’un seul champion d’Europe par an et que la gagner est aussi difficile que rare…

Revenons de l’autre côté de Manchester, à l’heure où on y parlait de quadruplé à son tour. Là où l’on revit. Là où l’on rêve d’avoir trouvé en ten Hag le successeur d’Alex Ferguson. Là où l’on pense que la domination de Liverpool appartient désormais à une sale période passée. Comme du temps de la révolution industrielle quand Liverpool était le plus grand port du monde et rinçait les industries textiles de Manchester de ses lourdes taxes portuaires. Les industriels mancuniens avaient fini par faire sans Liverpool et avaient porté Manchester bien plus haut que Liverpool. La parallèle est tout trouvé en football lorsque Sir Alex avait renversé la domination des Reds au début des années 90.  

Manchester United devait, selon l’histoire en marche, effacer Liverpool de cette saison 2022/23. Il resterait juste au Real Madrid à clore ce chapitre lors du match retour. Sauf que le football est un sport merveilleux et qu’il nous réserve toujours des rebondissements à nul autre pareil. Et, assez curieusement, ils ont souvent lieu à Anfield. Loin des reproches des « ultras » mondialisant qui séparent trop souvent leur performance propre de celle du jeu sur le terrain (d’où les incompréhensions fréquentes dans les clubs), le stade d’Anfield est un lieu magique qui incarne la quintessence du football. L’énergie y est propre, elle soulève joueurs du club mais aussi adversaires, et sa puissance ne se mesure pas à la fréquence des chants ou aux décibels.

Je ne connais pas de stade qui vive et ressente mieux le jeu de football. Et ce qui s’est passé encore dimanche contre Manchester United le raconte parfaitement. Tout a commencé sur une mignardise de Cody Gakpo. En un match, le Néerlandais a sans doute obtenu un passeport valable trois années auprès d’Anfield. Car il a enclenché quelque chose d’inouï avec son but inscrit au bout de la première période. A la mi-temps, beaucoup voyait encore MU revenir dans le match. Ils n’avaient pas imaginé la déferlante de la seconde période. Six buts et un rouleau compresseur qui allait atomiser Manchester United (7-0). C’est cet irrationnel qui fait la grandeur du football…et qui permet au commentateur d’avancer tout le contraire de son analyse de la veille. Tout d’un coup, Klopp garde la main sur son groupe. Et Liverpool ne peut que se qualifier encore en Ligue des Champions, alors qu’il était tout juste européen possible la veille…

La magie du foot avait opéré. Elle avait réveillé Liverpool (Fabinho, Henderson, comme jamais vus cette saison…) et un Salah tonitruant. Comme elle avait totalement détruit les cerveaux mancuniens relégués à une médiocrité impossible en théorie. Bruno Fernandes en était réduit à se demander quel geste stupide il pourrait faire pour se prendre un rouge. Rashford avait, lui, discrètement disparu. Chacun sa manière de s’évader de ce long moment d’agonie et de disparaître à jamais de ce match.

Evidemment, il n’y a pas sept buts d’écart entre les deux équipes. Et il serait très hasardeux d’affirmer que Liverpool va finir devant Man United. Mais rien que pour ce moment imprévisible, le football dépasse tout. Et c’était à Anfield… Mon confrère de l’Equipe Vincent Duluc a toujours (en plus de sa belle plume) une jolie formule pour ces moments-là. Alors que nous venions de vivre l’une de ces soirées européennes de légende d’Anfield (un 4-3 inouï pour éliminer Dortmund dans le temps additionnel !), il me glissa un « Après un match comme ça, on en reprend pour dix ans », qui disait tout.

Oui, le foot nous déçoit souvent. Par son ordinaire, par ces gens médiocres qui l’abîment à coup de basses polémiques, par sa dimension de plus en plus économique plutôt que sportive. Mais il est aussi merveilleux quand un Klopp peut être perdu à force de ne plus soulever les bons leviers à Liverpool, quand un ten Hag peut se retrouver adulé et pourtant écrabouillé en une après-midi de feu chez son pire ennemi, le jour et le match où cela ne doit pas arriver. Et puis, le jour d’après, Klopp retrouve tout l’attachement qu’Anfield a pour cet homme si fait pour les Reds.

Et, quelques jours après, Erik ten Hag renaîtra également car il serait bien trop bête pour lui en vouloir et casser cette belle dynamique. Mais, attention, si le foot est merveilleux, il est capable d’être très idiot également. Et si le scénario trop parfait a dérapé un jour, rien ne dit qu’il ne partira pas encore plus en vrille un peu plus tard. Le foot est merveilleux, justement par ce qu’on ne sait pas ce qu’il nous réserve.

Et le souhait que l’on peut faire est que cela dure encore quelques temps. Malgré les assauts des propriétaires américains sur l’Angleterre et de la Super-League qui rêvent forcément d’un scénario un peu plus établi. Espérons qu’ils n’altèreront jamais assez le jeu et la passion qu’il nous inspire…

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