Saison Rétro : COUPE DU MONDE 2022 UN GRAND CRU ?

L’oeil avisé de notre Philippe Doucet national, nous offre une rétrospective sur cette magnifique saison 2022/2023. Suivez chaque semaine un nouvel épisode et revivez les moments forts sur notre chère planète football.

Au départ, la Coupe du Monde au Qatar était présentée comme la grande apocalypse du football mondial. Entre les scandales sur l’attribution de la Coupe du Monde à un microétat, les morts sur les chantiers des stades et un régime politique dictatorial, il y eut aussi les polémiques sur les innombrables blessures de joueurs « forcément » entraînées par une Coupe du Monde disputée en hiver pour la première fois dans son histoire, à cause de températures caniculaires en juin-juillet. Et puis, Qatar 2022 s’est déroulé. Place a été laissée aux amateurs de football. Et, d’un coup, on est passé à une Coupe du Monde qui aurait été la « meilleure de l’histoire ». Il y a forcément un « entre deux » dans un tel grand écart. Et huit mois de recul ne sont pas de trop pour l’analyser.

Le football manque toujours énormément de recul. Pour une raison bien simple : il y a des résultats toute l’année, chaque semaine, voire chaque jour ! La trêve offre enfin un court moment (car le mercato passionne aussi…) d’analyse. La première analyse concerne évidemment la réussite et le niveau de cette Coupe du Monde. La deuxième sera plus traditionnelle puisque chaque Coupe du Monde est scrutée. Entre deux émotions, quelles leçons tirer sur le foot ? Quel sera le foot de demain issu de cette Coupe du Monde ? Commençons et évacuons tout de suite la deuxième analyse. En effet, il y a bien longtemps que la Coupe du Monde ne préfigure plus ce que le jeu va nous proposer dans le futur. On est loin du Brésil 58 qui avait instauré un 4-2-4 en rupture avec le WM et que le football européen découvrait littéralement. Et pour cause, on allait à la Coupe du Monde sans rien connaître de ses adversaires, surtout lointains. Ensuite, il y eut, bien sûr, les Pays-Bas de Rinus Michels (et Cruijff). Encore plus tard, France et Brésil 80’s (même sans gagner) ont pu inspirer. Idem avec l’Espagne 2010. Sauf que celle-ci marque déjà une différence. Le jeu de la Roja était clairement l’émanation du Barça (agrémenté des très bons joueurs du Real), plutôt que l’inverse. Et, globalement, aujourd’hui, la Coupe du Monde synthétise plutôt ce que font les meilleurs clubs, plutôt que l’inverse.

Si l’on considère que jusqu’à l’arrêt Bosman (1995), une sélection nationale reflétait le jeu pratiqué au pays avec des joueurs évoluant souvent dans celui-ci, il n’en est plus rien aujourd’hui. Les grands clubs sont des sélections mondiales bien supérieures aux sélections nationales, en termes de qualités individuelles. Et comme le collectif est, par essence, plus travaillé au long de l’année en club, il n’y a aucun élément laissant penser (malgré les grands noms alignés) qu’une sélection puisse être supérieure aux meilleurs clubs européens. De sorte que c’est plus Manchester City, vainqueur de la Ligue des Champions, qui va (c’est déjà le cas) influer sur le jeu des autres équipes. Plutôt que l’Argentine championne du monde. D’ailleurs, on en est à imaginer le niveau de l’Equipe de France si elle avait pu recruter un arrière droit ou un milieu de terrain parmi les meilleurs au monde. Ou l’Argentine si elle avait pu s’offrir un défenseur de classe mondiale dépassant le 1,85 mètre. Ou encore la Croatie si elle pouvait naturaliser quelques attaquants du niveau de son milieu de terrain. Et surtout le Maroc qui ne pouvait suppléer les blessures durant le Mondial (notamment parmi ses défenseurs) que par des joueurs très en dessous dans la hiérarchie des championnats.

Cette évidence étant dite, revenons donc à la première analyse sur la réussite et le niveau de la Coupe du Monde. Pour dire d’emblée que l’on relie à tort ces deux critères. Le Qatar a offert, à l’évidence, un Mondial très réussi sur le plan de l’organisation, de l’accueil, de la facilité de déplacement d’un stade à l’autre et de la qualité des stades. C’est déjà une énorme réussite. Qui peut largement compenser l’autre volet plus football.

Mais, à vrai dire, je ne me faisais guère d’inquiétude sur ce chapitre. D’abord, la machine FIFA sait faire quel que soit le lieu. Et, après les grands débats de société sur le Qatar, il était évident que le temps du football reprendrait ses droits. Le grand carnaval du foot reprend toujours le dessus. Les cortèges de supporters, l’enchaînement des matchs sont un rituel qui fonctionne éternellement. Et, contrairement, aux éternels alarmistes, cela marchera aussi à 48 pays. Et même à 112 dans une évolution future tout à fait envisageable, au rythme où l’on révolutionne le football pour créer toujours plus de richesse

Et le football dans tout ça ? Comme toujours, on commence par regarder les trains qui ne sont pas arrivés à l’heure. Et la vieille Europe a été un peu bousculée lors de ce Mondial qatarien. Allemagne, Belgique et Danemark ont disparu au premier tour… Mais qu’aurait-on dit si les Pays-Bas avaient été au bout de leur remontée face à l’Argentine, et si les Portugais avaient concrétisé leurs occasions face au Maroc ? Probablement que l’Europe enchainait une deuxième Coupe du Monde à quatre demifinalistes et qu’il fallait s’incliner bien bas devant elle. Au lieu de quoi l’Argentine de Messi et le Maroc se sont glissés au milieu des Européens. Et, si les Brésiliens n’étaient décidément pas aussi friables dans la tête (ce quart de finale contre la Croatie…), on aurait vraiment tiré la conclusion que le reflux de l’Europe était aussi le grand retour de l’Amsud… Bien sûr, la victoire finale de l’Argentine donne un peu cette impression après quatre Coupes du Monde dominées par quatre grands pays européens (Italie, Espagne, Allemagne, France…).

Pour autant, une Coupe du Monde doit-elle encore être analysée par ces biais géopolitiques alors même que les joueurs de ces équipes jouent pratiquement tous dans les grands championnats européens ? Malgré tout, oui. Car en se retrouvant, les joueurs sénégalais, argentins, brésiliens ou marocains retrouvent tout de même des gênes identitaires qui font aussi leur force et leur faiblesse. En positif, la grinta des Argentins pour se relever du premier camouflet contre l’Arabie Saoudite a été assez ébouriffante. Par contre, cela rend plus délicates les analyses sur les rapports de force entre continents. Quand on voit à quel point la Coupe du Monde est désormais un tournoi qui peut glisser d’une main à l’autre en un instant (la finale en est un exemple frappant !), les analyses définitives sont proscrites. Les quarts de finale ont ainsi offert tellement de suspense que les quatre vaincus auraient tout aussi bien pu être en demi-finale. Voilà qui rend bien hasardeux toute prophétie tirée de ce mondial. Mais voilà aussi qui fait le charme inusable de la Coupe du Monde. Elle demeure un tournoi ultra serré qui peut basculer vers l’un ou l’autre. Avec une équipe hautement remaniée dans le dernier virage, la France de Didier Deschamps a failli arrachée cette Coupe du Monde. Avec une équipe finale hyper-jeune (cela s’est vu lors des tirs au but) et sans trop d’expérience. Bien plus qu’une Ligue des Champions où quelques clubs (heureusement pas toujours exactement les mêmes) sont audessus du lot et font des différences sur deux matchs. On a déjà évoqué la dérive des continents. Mais il est juste d’aller plus loin. L’Asie a d’abord été magnifiée par quelques victoires exceptionnelles (Japon, Arabie Saoudite), puis par trois qualifications en 1/8e (dont l’Australie qui joue dans la zone Asie). Mais tout ce petit monde a sauté dès les 1/8e de finale. A l’inverse, l’Afrique a débord été moquée pour son inefficacité. Zéro victoire et seul le Ghana avait marqué lors du premier match. Et puis, Tunisie et Cameroun se sont offerts, pour l’honneur, France et Brésil. Le Sénégal s’est, lui, qualifié nettement…avant de révéler ce qui lui manque encore pour approcher une équipe comme l’Angleterre. Et, surtout, le Maroc a survécu à tout. Offrant à l’Afrique la meilleure performance de son histoire, puisque jamais aucun pays africain n’avait dépassé les quarts de finale.

Huit mois après, que reste-t-il donc de ce mondial ? Vous avez vraiment l’impression d’avoir assisté à la meilleure Coupe du Monde de l’histoire ? Pour moi, il manque quelques ingrédients essentiels. Quelle équipe a marqué cette Coupe du Monde par son jeu et sa supériorité ? Tout le monde a perdu au moins une fois. Et il est difficile d’affirmer que l’Argentine ou la France étaient au-dessus du lot. De même, quels matches forts ont marqué ce Mondial ? On citera aisément FranceAngleterre, Argentine-Pays-Bas et la finale au scénario échevelé. Le suspense a marqué ces matches. Mais j’ai tendance à penser que seul le premier avait des allures de match de haut niveau ! Cela fait un peu maigre. Toutefois, deux grands joueurs sont sortis du lot. Comme un symbole du foot actuel, plus individuel que collectif. Et voir Messi et Mbappé regarder les autres de haut a pu impressionner. Plus que jamais, la Coupe du Monde aura été un tournoi qui a navigué au gré des envies. Et prétendre que les équipes en vue seront des références pour les années à venir n’aurait pas de sens. L’Argentine était au tréfonds il y a quatre ans. Le Maroc n’a pas dépassé les quarts de finale lors de la dernière CAN. La Coupe du Monde 2022 aura donc été un bon moment, et c’est déjà beaucoup. Mais rangez les pancartes sur la « plus belle Coupe du Monde de l’histoire ». De toutes façons, la FIFA prétend déjà que ce sera la prochaine….

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