Tous les ans, Manchester City fait un retour canon en Premier League dans la deuxième partie de saison. Et, tous les ans, on s’étonne. Il fallait voir City mené chez lui face à United dans le derby de Manchester pour comprendre ce qu’est l’assurance, la certitude. De celle qui vous permet de saisir le bon moment et de gagner sans même sembler avoir été en danger. Impressionnant à la veille de relever à Anfield le plus beau des défis !
Dimanche, c’est jour de Liverpool-Manchester City. Enfin ! Le match que tout le monde attend. Surtout Arsenal qui, blotti juste derrière les deux géants de cette décennie, espère profiter de l’aubaine. Ce sera assurément un sommet du jeu. Si Liverpool n’a peut-être plus tout à fait encore la même facilité que lors de la période Salah-Firmino-Mané, il est déjà ultracompétitif, en ayant pourtant renouvelé largement son équipe et notamment son attaque magique. Et si Klopp a annoncé sa fin de règne, cela ne transpire nulle part dans les actes. Les siens et ceux de ses hommes… Surtout, Manchester City demeure une incroyable équipe. Il suffit qu’on la trouve un chouïa poussive à un moment pour qu’elle pousse l’accélérateur. En Cup, Luton a explosé en vol (2-6). Et, quelques jours plus tard, Manchester United a juste fait illusion. Notamment par la grâce d’un but de fou du ressuscité Marcus Rashford. Armés de cet avantage, les Red Devils ont donc âprement défendu leur cause.
L’illusion a duré jusqu’en deuxième période. Mais tout paraissait si inéluctable. Avec City, quand ce n’est pas Haaland, c’est De Bruyne. Ou encore Bernardo Silva. Mais si le Portugais est moins bien, c’est Alvarez. Et si l’Argentin est sur le banc, alors c’est Foden qui fera la différence. Bien sûr, tout cela correspond à un effectif très complet en qualité et en quantité. Mais cela définit en fait vraiment ce qu’est un vrai collectif. On peut exercer cela à Brest en faisant gagner des équipes pourtant limitées en talent de joueurs. Mais le plus fort restera toujours d’arriver à faire jouer des vedettes comme s’ils étaient encore à Brest… C’est peut-être l’accomplissement le plus remarquable de Pep Guardiola. Quand un entraîneur de base doit veiller à ce que la mentalité ne soit pas dégradée quand l’excès de confiance guette avec sa pointe d’amertume en bandoulière, lui trouve encore des ressources d’exigence pour emmener tout le monde toujours plus loin. On ne peut expliquer autrement que City soit encore en course partout après avoir déjà réalisé « the treble » la saison dernière (C1, PL, Cup). Et, plus encore, gagner cinq des 6 dernières Premier League. Il faut des trésors cachés de motivation pour en arriver là.
D’autant que la Premier League est pleine d’embûches. Le week-end passé, Liverpool ne s’est imposé au City Ground de Nottingham qu’à la 97e minute. Et City traînait un but rapidement encaissé sans parvenir à déborder un United accrocheur. Cette saison encore, l’équipe d’Erik Ten Hag est d’une incroyable irrégularité. Mais elle rate assez peu les grands matches. Et elle paraissait capable de refaire le coup de Liverpool (0-0). Pourtant, les certitudes sont en face, chez les Skyblues ! Même menée 0-1, la machine vit et construit sans cesse. Confiante dans ses valeurs, mais aussi dans le talent individuel de l’un, de l’autre, ou encore un autre…
Sans avoir l’énergie de Liverpool ou la vitesse d’Arsenal, Manchester City est encore mieux armé : il a le temps ! Le temps de construire avec le ballon, l’urgence de déconstruire la relance adverse à coup de pressing. Guardiola entretient ses préceptes fondamentaux, et les rénove à loisir. Le pressing haut s’affine, les variations se multiplient. Même Walker, dans ce cadre, arrive à paraître (presque) dans le moule, malgré un jeu mal dégrossi à la base. Et, évidemment, un entraîneur devient subitement encore plus intelligent quand un Kevin De Bruyne refait surface. En fait, on passe son temps à s’émerveiller devant des gestes individuels, sans même plus voir qu’elles proviennent toujours d’une démarche collective aboutie. L’auteur de l’exploit, que ce soit De Bruyne, Bernardo Silva, Rodri ou Alvarez, sait toujours ce qu’il doit faire. Revenir en arrière pour s’appuyer sur son milieu. Ou poursuivre devant et faire mal… Manchester City n’est certainement pas l’équipe qui tire le plus au but. Car elle n’est pas pressée de conclure. Elle sait attendre l’aubaine. Contre United, il fallait quand même être bourré de certitudes pour ne pas s’inquiéter. Un derby garde toujours sa part d’aléas. D’ailleurs, il fallut un exploit de Phil Foden sur l’égalisation. Et attendre le coup de sifflet de l’arbitre Mr.Madley pour savoir si Ederson avait commis ou pas l’irréparable ! A 1- 1, le penalty était proche pour United. Mais, sur l’action suivante, c’est City qui prenait l’avantage, par un Phil Foden des grands jours.
D’où nous vient donc cette certitude que City va l’emporter ? Il y a, bien sûr, les qualités des joueurs et le sens collectif donné par Guardiola. Mais il y a surtout ce sentiment que les joueurs partagent ce plaisir collectif et y déroge le moins possible. Incessamment, on presse haut pour récupérer (souvent en profitant des limites techniques adverses) et pour repartir de l’avant. Mais à son rythme et en respectant toujours le jeu et le ballon. « Tenter l’impossible» n’est pas le genre de la maison. C’est là où le retour de De Bruyne est un vrai cadeau pour Guardiola. Car lui sait pouvoir tenter plus et créer la différence par la passe. En inventant ce qui dépasse le cartésianisme. Finalement, le joueur dont on parle ici le moins est, paradoxalement, le meilleur buteur de l’équipe Erling Haaland. Non que le Norvégien n’ait pas un rôle fort. Lui aussi s’impose par sa différence, cette envie de marquer qui est en lui. Mais, dans le jeu, il ne va jamais impressionner. Et pour cause, son rôle se réduit à quelques remises en pivot devant…
Mais il est pourtant aussi indispensable que le métronome Rodri. Par ses buts, bien sûr. Mais aussi par sa présence qui fixe les défenseurs. En somme, toutes ces vedettes (à ce prix-là, ce sont forcément des grands joueurs, à défaut d’être des stars) acceptent de rentrer dans le rang et de suivre une idée du foot… tout en apportant leur créativité et le plus qui fait la différence. Une double expression qui ne manque pas d’impressionner quand d’autres clubs de ce calibre cherchent leur philosophie et ne parviennent pas vraiment à savoir quel football ils veulent pratiquer et avec qui ? Des stars ou d’honnêtes travailleurs ? Comme s’il y avait un choix à faire d’office. Comme si un grand club pouvait tirer plus de petits joueurs ! Evidemment non. Le nirvana est d’avoir des tas de grands joueurs, le maximum possible. Et d’être capable de les faire jouer ensemble ultracollectivement, mais sans leur retirer leur pouvoir de créativité. C’est ce miracle qu’accomplit chaque saison Pep Guardiola. Rien que ça… L’étape d’Anfield sera forcément un très gros révélateur pour savoir si Manchester City est bien toujours l’ogre qui dévore les fins de saison…