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Il est toujours extrêmement délicat de décerner des titres officieux de meilleure équipe du monde. Pour ça, il faut éventuellement que cela s’accompagne de titres factuels. Des victoires en Ligue des Champions puis en Super-Coupe d’Europe et au championnat du monde des clubs pourraient ainsi contribuer à cette appellation concernant Manchester City. Première étape, la principale, ce samedi à Istanbul face à l’Inter Milan. Mais d’autres repères permettent déjà de situer les performances de City.
MANCHESTER CITY EST DÉJÀ LA MEILLEURE ÉQUIPE DU MONDE
La qualité de jeu demeure un élément fluctuant d’une personne à l’autre. Et tout le monde a le droit d’aimer tel ou tel football, du Tiki-Taka espagnol au foot anglais des années 80 à grands coups de botte devant. Personnellement, ma religion est faite depuis fort longtemps. Et autant dans la pratique sur le terrain que vu des tribunes, seul un football construit emporte mon adhésion. Une culture qui n’empêche évidemment pas de savoir reconnaître les mérites des organisations mises en place par le Mourinho des années 2000, Simeone ou Conte… Mais mon plaisir (et celui des joueurs qui l’appliquent) n’est évidemment pas là.
Vous noterez que je n’emploie jamais l’expression « beau jeu ». Faute d’en avoir un mode d’emploi, ou au moins un sens donné par un dictionnaire du foot. Et faute d’être bien sûr ce qu’entend par là mon interlocuteur. En tout cas, ce ne sont pas des préférences footballistiques personnelles qui doivent mener à sacrer telle équipe aux dépens d’une autre. Si je préfère le jeu de Manchester City, je n’ai aucun doute sur le fait que l’Inter a les ingrédients pour surprendre en finale. Et notamment cette faculté de faire peur par ses attaquants qui peuvent contrarier et limiter City. Pour autant, je considère que Manchester City est déjà la meilleure équipe d’Europe, et donc du monde puisque, jusqu’à nouvel ordre mondial, tous les meilleurs joueurs sont en Europe. Jusqu’à ce que l’Arabie Saoudite (et d’autres pays qui prendraient ce modèle) trouble l’équilibre du football mondial, comme la Formule 1 qui a basculé dans un autre monde. Je sais bien que l’Europe du foot, toujours conservatrice, n’imagine pas un instant qu’une révolution soit possible au-delà de quelques grandes gloires au-delà de 35 ans (Ronaldo, Benzema). Qu’elle se méfie quand même des évolutions à venir. Après tout, la future Super-League pourrait être mondiale, et non européenne… Dans cette hypothèse, les dirigeants émiratis pourraient faire à Abu Dhabi ce qu’ils font à Manchester… Or, que font-ils à Manchester ? Ils ont construit, sous une houlette hispano-catalane, la meilleure équipe du monde. Pas forcément en prenant les plus grandes stars du jeu. Mais en investissant lourdement sur de super-joueurs. Et en construisant patiemment une vraie équipe. Après des débuts dispendieux et un titre en 2012, les investisseurs émiratis ont eu l’intelligence de confier les clefs du camion à Ferran Soriano, ex-Barça, devenu Directeur Exécutif de City en 2012. Quelques mois plus tard, il faisait venir Txiki Begiristain pour diriger la partie sportive. Qui, lui-même, prit le temps d’attendre Pep Guardiola, arrivé en 2016.
Durant toutes ces années, Manchester City a construit une organisation, un club multipropriétaire (13 clubs dans le monde en attendant les prochains…) et une équipe première fantastique. Encore une fois, sans taper dans les meilleurs joueurs du monde. Mais en investissant lourd sur des joueurs s’intégrant dans un projet de jeu. De Bruyne (à l’époque), Ruben Dias, Ake, Akanji, Rodri, Gündogan, Walker, Mahrez ou Grealish ne seraient peut-être pas arrivés comme des stars dans les plus grands clubs européens. Mais tous réunis sous ce maillot bleu ciel, ils forment une sacrée équipe star. Il y a, bien sûr, une exception nommée Haaland. Mais le buteur norvégien était lui-même une petite interrogation à son arrivée. Confirmerait-il au plus haut niveau ? S’intégrerait-il au jeu de Pep Guardiola, réputé « ne pas aimer » les avantcentres ? Les guillemets sont de rigueur quand on parle d’un entraîneur ayant dirigé Samuel Eto’o, Zlatan Ibrahimovic, Robert Lewandowski ou Sergio Agüero, entre autres… De fait, Erling Haaland s’est parfaitement intégré au point d’inscrire 36 buts en Premier League, faisant taire la légende sur « Guardiola et les 9 ».
Enfin ! Car bien peu d’entraîneurs refusent un buteur de talent. Pas plus Guardiola qu’un autre. Par contre, ils peuvent être exigeants sur leur manière d’aider le jeu. De fait, Haaland a formidablement progressé dans le jeu dos au but et dans la construction en cette saison. N’est-ce pas ce qu’on demande à un entraîneur? D’année en année, Manchester City n’a donc cessé de progresser. Comment se fait-il qu’aussi peu de gens considèrent les cinq titres en six ans de City comme un exploit ? En l’occurrence, infiniment plus difficile que de gagner UNE Ligue des Champions. Mais la magie de celle-ci est telle que les 11 titres de Guardiola en 14 années passent pour simple routine. C’est le côté inouï du foot d’aujourd’hui, qui aboutit à ce que le PSG « fête » son titre sous les sifflets.
Aberrant ! Pour moi, ces cinq titres anglais, dans un championnat d’une exigence folle, empli d’embûches et adversaires en nombre et de talent, est un authentique exploit. Rien que pour ça, le City de Guardiola se situe au panthéon du foot européen depuis des années. Et il est sans doute la meilleure équipe d’Europe depuis plusieurs années. Même la thèse Ligue des Champions ne tient pas la route. Certes, City n’a toujours pas gagné ce trophée envié. Tout simplement parce qu’il n’y a qu’un vainqueur par an. Et qu’il n’est pas toujours le meilleur. Tout simplement aussi parce qu’il n’est pas simple de rentrer dans le club très fermé des vainqueurs européens.
Le dernier club à s’être déniaisé est Chelsea en 2012. Et le précédent, Dortmund en 1997…. C’est dire la difficulté. Au lieu de sombrer dans une crise existentielle à chaque élimination, le PSG devrait avoir l’humilité de reconnaître qu’on ne se fixe pas comme objectif de triompher dans une compétition aussi difficile et pleine d’aléas. On peut en rêver, et surtout vouloir être compétitif tous les ans. Mais se mettre la rate au court bouillon parce qu’on n’arrive pas à la gagner… Et non, City ne l’a pas encore gagnée. Mais ils pourraient disputer ce samedi leur troisième finale d’affilée. Il y a pire échec… En 2021, City a raté sa finale contre Chelsea. En 2022, elle a été qualifiée en finale pendant 180 minutes (et même pas loin d’écraser) contre le Real Madrid. Et City a appris de ces défaites douloureuses. Qui, c’est vrai, prouve qu’il manquait encore quelque chose. Certains diront Haaland ! Je dirais plutôt qu’il lui manquait ces défaites formatrices. Contre des équipes qui savent transformer ces matches si particuliers en combats féroces. Cela garantit-il un City à l’abri de ces émois face à l’Inter ? Nullement. L’aléa reste indissociable d’une formule de coupe (on l’oublie trop souvent) et d’une finale sur un match. S’il y a peu de doute que Manchester City soit bien la meilleure équipe des deux, il reste à le prouver le moment venu. Ce fut fait contre le Real Madrid en demi-finale où, malgré une prudence de tous les instants, Manchester City a manifesté sa nette supériorité sur le Real.
MANCHESTER CITY EST-IL ENCORE MEILLEUR CETTE SAISON ?
Si Manchester City l’emporte, il sera toujours temps, pour les grands analystes de l’aprèsmatch, d’expliquer pourquoi City est devenu le meilleur. Vous m’avez compris, pour moi, City était déjà le meilleur avant. A preuve, je l’affiche avant même la finale. Après, il y a toujours des aléas, et des petites failles. Et elles sont toujours là pour certaines. Quand City ne réussit pas son pressing étouffant dans le camp adverse, il a toujours du mal à reculer. Et un Lautaro Martinez peut lui faire payer chèrement.
Mais Pep Guardiola s’interroge de façon permanente. Le personnage recèle une certaine arrogance qui est souvent relevée. Mais pas de la bonne manière à mon avis. Celui qui l’estime arrogant car trop sûr de lui, se trompe lourdement quand on voit la recherche permanente opérée par le Catalan pour améliorer son équipe. Preuve que la remise en question fait largement partie de ses qualités. En l’occurrence, Pep Guardiola a souffert cette saison. Lors de la première partie et jusqu’à février, son City paraissait un peu indolent. Parfois un peu repu de gagner. En tout cas, il ne dégageait pas l’envie de ces dernières saisons. Il semblait un peu tourner en rond. Et Guardiola a cherché. Comment mieux utiliser Haaland ? Comment parfaire la relation entre des joueurs habitués à ce jeu et les nouvelles qualités apportées par Haaland ? Aujourd’hui, De Bruyne et Gündogan combinent parfaitement avec le géant norvégien. Le pressing haut (inventé par Guardiola à Barcelone bien avant le « contre-pressing » des Allemands Klopp et Tuchel) ne fonctionnait pas bien non plus. Guardiola avait déjà innové (dès le Bayern, avec Philipp Lahm) avec des latéraux rentrant à l’intérieur du jeu dans les phases de possession. Il a trouvé encore mieux avec un John Stones métamorphosé en milieu quand l’équipe possède le ballon et pour le pressing haut. Puis retrouvant l’axe de la défense dans les phases défensives.
Il a, enfin, sans doute observé que son équipe pouvait se faire bousculer dans certains matchs haut de gamme. Ceux qui comptent. Et, guidé aussi par quelques blessures en défense, il a su changer ses hommes et renouvelé sa formule. Ainsi, la remontée en Premier League s’est faite en usant de solidité, notamment lors du match clef à l’Emirates contre Arsenal. City n’a pas eu peur de laisser le ballon aux Gunners et de resserrer dans l’axe. Un symbole avec des latéraux tout sauf évidents : Ake et Akanji. Des défenseurs centraux sur les côtés ? Comme un vulgaire entraîneur italien ou son opposé Mourinho. Pas vraiment dans le contenu et dans l’objectif. Et la rentrée de Walker (grâce à la blessure d’Ake) a modéré un peu cette évolution spectaculaire.
Mais le résultat est édifiant. City pouvait apparaître parfois fragile sans le ballon. Cancelo a quitté le club à la trêve. Et, désormais Akanji et Walker soutiennent fortement Ruben Dias lorsque Stones est sorti. Avec un Rodri exceptionnel au milieu, la structure de l’équipe est infiniment plus physique que ces dernières années. Mêmes choix très pragmatiques sur les côtés. Mahrez et Foden étaient deux magiciens capables d’explosivité. Guardiola a, petit à petit, privilégié Jack Grealish et surtout Bernardo Silva. Ryad Mahrez, son traditionnel meilleur buteur européen, étant relégué sur le banc. Outre la solidité que tous ces changements apporte à l’équipe de Pep Guardiola, nul doute que la tenue de ballon de Grealish et Bernardo Silva est essentielle. D’autant que, contrairement aux dernières saisons, Kevin De Bruyne, gêné par des petits pépins physiques, n’accomplit pas une saison pleine. Mais il reste un aimant pour le jeu de City et, si les jambes vont moins vite, l’œil s’accommode aisément quand il est aussi bien entouré.
Les travaux et changements de Guardiola ont donc abouti à plus de solidité et à plus de contrôle du ballon. A croire que le Catalan veut retrouver les vertus de son Barça qui prenait si peu de buts. Un ingrédient essentiel pour gagner la Ligue des Champions. Si l’on se souvient évidemment de Leo Messi dans les conquêtes du Barça de Guardiola (2009, 2011), la solidité et le contrôle du jeu de toute l’équipe était tout aussi prépondérants. Les comptables du football (et les Anglais si attachés à une certaine équité) reprocheront forcément toujours à City d’avoir usé d’un argent peu limité pour construire une telle machine de guerre. Mais Chelsea, United ou le PSG peuvent garantir que cela ne suffit pas à aller au plus haut dans le football, ce sport où le collectif compte tant. Mais ces comptables noteront peut-être de façon amusée que (si City l’emporte) le deuxième club de Manchester aura gagné l’année où, pour la première fois depuis son rachat en 2006, il aura été bénéficiaire sur le marché des transferts. Si Haaland est arrivé, le club a, en effet, vendu Sterling, Jesus et Zinchenko. City est même l’équipe de Premier League qui a utilisé le moins de joueurs pour conquérir ce nouveau titre. Le football n’est pas à un paradoxe près…