TUCHEL, COULÉ !

Chaque fois, l’histoire finit de la même manière. En tout cas depuis 2012 et le départ de Jürgen Klopp de Dortmund. Régulièrement, le Borussia croit pouvoir épingler le grand Bayern. Et puis, immanquablement, survient le moment où l’outsider doit le prouver face au champion en titre. Et, depuis quelques longues années, ça ne rate jamais, c’est le moment où le Bayern rappelle qui est le Kaiser.

Le grand choc, la grande explication avec un scénario rêvé : Dortmund, un point devant le Bayern au coup d’envoi. Circonstance exceptionnelle, épicée de plus par le licenciement de Jürgen Nagelsmann quelques jours plus tôt. Le FC Hollywood avait encore frappé… C’est vrai que le licenciement du jeune entraîneur allemand avait pu surprendre. En tout cas ceux qui ne connaissent pas bien le monstre Bayern. Certes, le club bavarois était un point derrière en championnat et toujours qualifié en Ligue des Champions. Sauf que le jeu se dégradait lentement jusqu’à voir les Münichois céder la première place. Et la qualification européenne était autant dû à un médiocre PSG qu’à la grandeur du Bayern. Dans ce club, les choses ont toujours été claires: le patron n’est jamais l’entraîneur. Lorsque le nouveau nommé arrive, il est certes désiré, mais sans jamais bénéficier d’un état de grâce. Car, au Bayern, la laisse est tenue par cette cohorte d’anciens joueurs qui contrôlent tout ce qui concerne le sportif. Oliver Kahn (Président) et Hasan Salihamidzic (Directeur Sportif) aujourd’hui, Uli Hoeness ou Franz Beckenbaeur, hier. La tradition est toujours respectée car elle est un véritable mode de fonctionnement. Alors, on peut trouver amusant que Thomas Tuchel se lance à son tour dans le défi d’entraîner le Bayern. Alors même qu’il a été en butte avec ses dirigeants ces dernières années à Chelsea, PSG et même Dortmund, auparavant. Certes, le Bayern est attrayant par la qualité de l’effectif et sa puissance financière. Mais Tuchel n’allait-il pas tomber dans les mêmes tourments, les mêmes causes produisant les mêmes effets ? Evidemment, on ne le sait guère encore. Mais, en tout cas, pour un premier tour de piste, c’est «Tuchel, coulé»… pour Dortmund, bien sûr, qui a pris la foudre à Münich (4-2). Tout à fait impossible également de se dire que Tuchel pourrait non seulement gagner le titre, mais réussir le coup de Chelsea en remportant la Ligue des Champions dans ses premiers mois de mandat. Pour tout dire, le Bayern qui a atomisé Dortmund n’a rien révélé de véritablement nouveau. On pourrait presque dire d’ailleurs que Tuchel a changé à minima ce Bayern de retour de trêve internationale. Pas question d’innover alors même que les trois-quarts de l’effectif ne s’était quasiment pas entraîné avec Mister TT. Elle s’est alignée avec un onze ultra-traditionnel ces derniers temps. Les changements seront pour plus tard. À moins que Tuchel n’ait déjà rétabli le plus important de tout : la confiance des joueurs en eux-mêmes et en leur coach. Ce que Nagelsmann avait sans doute perdu ces derniers temps, y compris en partant au ski en pleine trêve internationale. Le FC Hollywood ne badine pas avec la rigueur. Dans une année où le « pas qu’un peu » champion d’Allemagne avait déjà perdu son gardien Neuer au ski cet hiver, le long week-end alpin du jeune coach Nagelsmann a été la mousse qui fait déborder la chope. Exit le jeunot. Il faut dire aussi que l’ancien coach du RB Leipzig avait déjà épuisé son crédit, y compris auprès de joueurs peu convaincus…et que Thomas Tuchel était libre après son éviction de Chelsea. Vous frémissez déjà en pensant à l’inévitable brouille Tucheldirigeants bavarois ? Vous vous étonnez de voir Tuchel étaler son exaspération parisienne de n’avoir aucun pouvoir et signer pourtant au Bayern ? Si vous pensez cela, c’est que vous croyez avoir compris, mais qu’on ne vous a pas bien expliqué ! De fait, Tuchel n’aura pas la main au Bayern sur les transferts et autres choix de fond. Ce qui avait, par exemple, poussé Ancelotti à lâcher prise. Mais l’ancien coach de Mayence et de Dortmund n’ignore rien du fonctionnement interne du Bayern, avec lequel il a déjà été plusieurs fois en contact. Le savoir est essentiel.

Ce que Tuchel a découvert bien plus tard au PSG. S’étonnant, par exemple, de l’absence d’un joueur à l’entraînement et apprenant que le Président lui avait accordé deux jours sous un prétexte forcément très sérieux. À Chelsea aussi, après une lune de miel idéale ponctuée d’une C1, il avait été surpris par un club fort éloigné, depuis longtemps, du mythe du manager anglais au-dessus de tout. Et le changement de propriétaire avait définitivement tout cassé.

Tuchel sera bien au Bayern. Pendant un temps, bien sûr. Et partira fâché, sans surprise. En attendant, il a tous les moyens pour travailler dans la qualité. Si le Bayern pêchait par manque d’assurance (un comble !) depuis la Coupe du Monde, Tuchel sait ramener la raison et la passion. Revoir Thomas Müller ou Goretzka à ce niveau face à Dortmund était sans doute un premier aperçu de ce que sait faire Tuchel. On le croît toujours dur et coupeur de têtes, alors qu’il est d’abord un fédérateur. Pendant un bon bout de temps, en tout cas, les joueurs adhèrent et apprécient ce manager adroit… Il saura ainsi gérer la lente réintégration de Sadio Mané, par exemple. Et la concurrence forte entre Coman, Gnabry, Sané. Il saura aussi imprimer sa marque avec un jeu déjà plus pragmatique que son prédécesseur. La marque Tuchel était déjà à l’Allianz Arena avec un ballon souvent laissé au Borussia et la vitesse de transition en contre-attaque.

Il saura surtout ne pas toucher aux points forts de l’équipe. Le duo Kimmich-Goretzka est une base indispensable. Sans laquelle s’attaquer au milieu de City n’aurait même pas de sens. Il saura renforcer encore un Dayot Upamecano en progrès constants (déjà sous Nagelsmann…) en patron de défense. Finalement, dans ce « Klassiker » face à Dortmund, les critiques sur le Borussia ont été à la mesure de la déception générale de ne pas avoir eu de vrai combat. Du coup, on a surtout insisté sur la déception jaune, en omettant la maîtrise de l’événement côté Bayern. De fait, Dortmund est venu jouer à l’Allianz Arena et a été puni trop vite. Mais cela reflète la différence de poids entre les deux clubs. Budgets, masses salariales ne font pas partie de la même catégorie.

Et reprocher à Dortmund un manque d’ambition en vendant ses meilleurs joueurs au Bayern, c’est comme refuser une proposition en or sur votre voiture ou votre appartement. C’est un luxe qui n’est pas à la portée de tous. En 2017, Monaco aurait pu refuser de renforcer son rival et retenir Kylian Mbappé. Sauf que le club de la Principauté sait fort bien ne pas être un rival durable pour le PSG. La réalité est la même pour Dortmund, le « grand petit » club. On peut donc être déçu de voir Dortmund à quatre buts du Bayern en un peu plus d’une mi-temps. Mais pour l’intérêt du match luimême, voire de la suite de cette saison de Bundesliga. Mais, sur la durée, il n’y a pas match. Et le titre allemand a bien peu de chances de bouger cette année encore. Pas touche à Tuchel…

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